IdT – Les idées du théâtre


 

Dédicace en prose et en vers

Phaéton

Boursault, Edme

Éditeur scientifique : Souchier, Marine

Description

Auteur du paratexteBoursault, Edme

Auteur de la pièceBoursault, Edme

Titre de la piècePhaéton

Titre du paratexteÀ Messieurs les comédiens ordinaires du Roi

Genre du texteDédicace en prose et en vers

Genre de la pièceComédie

Date1694

LangueFrançais

ÉditionParis, Jean Guignard, 1694, in-12°

Éditeur scientifiqueSouchier, Marine

Nombre de pages12

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k859427

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Boursault-Phaeton-Dedicace.xml

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Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Boursault-Phaeton-Dedicace.odt

Mise à jour2013-02-17

Mots-clés

Mots-clés français

ComédiensRoscius ; Comédiens-Français ; remerciement aux comédiens ; dédicace aux comédiens ; rapports comédiens italiens / français

RéceptionSuccès / échec ; cabale ; ligue ; prévention / plaisir ; réception par les comédiens

FinalitéPlaisir

Relations professionnellesRelations auteur dramatique / comédiens ; rivalité entre les auteurs ; auteurs et protecteurs

Mots-clés italiens

AttoriRoscius ; Comédiens-Français ; ringraziamenti ai comici ; dedica ai comici ; rapporti comici italiani / comici francesi

RicezioneSuccesso/ insuccesso ; cabala ; lega ; prevenzione / diletto ; ricezione dai comici

FinalitàDiletto

Rapporti professionaliRelazioni tra autore drammatico / comici ; rivalità tra gli autori ; autori e protettori

Mots-clés espagnols

Actor(es)Roscius ; actores de la Comédie-Française ; agradecimientos a los actores ; dedicatoria a los actores ; relaciones actores italianos / franceses

RecepciónÉxito / fracaso ; cábala ; liga ; prevención / placer ; recepción por los actores

FinalidadPlacer

Relaciones profesionalesRelaciones dramaturgo / actores ; rivalidad entre los dramaturgos ; dramaturgos y protectores

Présentation

Présentation en français

La dédicace de Boursault aux Comédiens-Français nous éclaire sur les relations que les dramaturges entretiennent à la fin du XVIIe siècle avec deux instances de la vie théâtrale : les acteurs chargés de jouer leurs pièces et le public qui reçoit l’œuvre. Ce public est divisé ici en trois catégories : la masse anonyme des spectateurs, les hommes de lettres de talent « qui sont sur la cime du Parnasse » et les « petits auteurs » jaloux, accompagnés de leurs partisans.

Avec Phaéton, créé en 1691 et publié en 1694, le dramaturge donne sa treizième pièce. Contrairement à Ésope à la ville, joué l’année précédente, elle n’a guère de succès : l’affluence du public, sans être catastrophique, reste modeste. Or la mise en scène nécessite un fort investissement que le nombre d’entrées ne suffit pas à compenser. Les comédiens abandonnent cette pièce trop peu rentable au bout de neuf représentations1.

En remerciant la troupe du Roi d’avoir accepté sa comédie, l’auteur, sous couvert de justifier leur choix, se défend contre les attaques dont son œuvre a été victime. Il allègue comme cause de sa chute la « cabale » qui s’est déchaînée contre elle. La source de cette cabale réside selon lui dans la jalousie de ses concurrents. À ses yeux, le ressort des « ligues » qu’ils ont formées n’est autre que la « prévention » : ils ont fait circuler le bruit que la pièce était mauvaise, si bien que les spectateurs étaient déjà persuadés de sa faiblesse avant même la représentation. Suit une variation sur l’histoire du comédien Roscius, qui démontre que la prévention a existé de tous temps et va de pair avec l’ignorance, l’apologue permettant de tourner en ridicule l’attitude des détracteurs de Boursault. L’auteur termine sa dédicace en évoquant les jugements favorables sur sa pièce donnés cette fois de manière impartiale par des hommes de lettres avisés et un spectateur anonyme. Il substitue ainsi au public qui a chahuté Phaéton un public bienveillant qui aurait su, par une lecture ou une écoute objective, l’accueillir comme elle le méritait.

Texte

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À Messieurs les comédiens ordinaires du Roi    2            

Messieurs,

[NP1]Si vous vous souvenez aussi bien du plaisir que je [NP2] vous donnai, que je me souviens de celui que j’eus lorsque je vous lus l’ouvrage que je vous dédie, je me flatte que vous vous ferez un plaisir nouveau de le recevoir, comme je m’en fais un de vous l’offrir. Les applaudissements que vous lui donnâtes à la lecture que je vous en fis méritent la reconnaissance que je vous en témoigne ; et je le mets tout exprès au jour pour faire connaître à ceux qui ne l’ont pu voir représenter qu’il y eut autant d’équité dans vos suffrages, que de passion dans ceux qui me refusèrent le leur3. [NP3] Il ne s’est jamais vu tant de cabales4 qu’il y en eut contre cette pièce : je ne sais combien de petits auteurs5, chagrins du succès qu’avait eu Ésope6, et qui vous entendaient publier que Phaéton en aurait encore un plus grand, firent ligue offensive et défensive contre moi ; et du bas du Parnasse, où Apollon a l’indulgence de les souffrir, ils cherchèrent à me faire tomber d’une place qui, toute médiocre qu’elle est, leur semble élevée par rapport à celle qu’ils y occupent. Comme il y en a quelques-uns à qui le bonheur a fait trouver des asiles [NP4] favorables, et qui ont l’avantage de n’être pas inutiles aux plaisirs des Grands7, ils eurent tant de facilité à les prévenir8, et ceux qui étaient prévenus à en prévenir encore d’autres, que ma comédie était condamnée avant que d’être vue ; et tout son crime était un peu trop de réputation. Ce n’est ni d’aujourd’hui ni contre moi seul que la prévention a fait voir qu’elle est inséparable de l’ignorance ; il ne faut guère feuilleter l’Histoire pour en trouver des exemples. L’affranchi d’Auguste9 en fit jadis une fable, dont j’ai [NP5] pris le sujet sans m’attacher servilement à la lettre ; et comme il n’y a point d’exemple dans l’Antiquité qui fasse mieux connaître l’injustice de la prévention, j’ai cru la devoir mettre ici en ces termes.

La Prévention.

Fable.

Autrefois les tribuns établirent à Rome
Deux troupes de comédiens ;
[NP6]Le besoin de rimer m’oblige à dire, comme
À Paris les Français et les Italiens10.
5    L’une et l’autre avec un grand zèle
Tâchait à renvoyer les auditeurs contents ;
Mais dans l’une des deux (n’importe dans laquelle)
Présidait Roscius si célèbre en son temps11.
Ses gestes, son air, sa parole
10    Rendaient en [s]a faveur le monde prévenu ;
Et quiconque après lui jouait un même rôle
S’il n’était fort habile, était fort mal venu.
Un jour que dans certaine pièce
Il grognait à peu près comme un petit cochon,
15    Un rôle si nouveau parut en son espèce
À tous les spectateurs admirablement bon.
Rome était une ville en citoyens féconde ;
Et chacun allant voir cela :
Roscius, disait-on, est le seul homme au monde
20    Capable de ce rôle-là.
Pendant que Roscius, ayant le vent en poupe,
Causait tant de plaisir et d’admiration,
Un des acteurs de l’autre troupe
S’avisa d’une invention
25    Qui montre clairement que la Prévention
A toujours l’Ignorance en croupe.
Il dit que c’était un abus
De croire Roscius un si merveilleux homme ;
Et fit même afficher aux carrefours de Rome
30    Qu’il ferait le cochon moins mal que Roscius12.
Les Romains étonnés d’une pareille affiche,
Et qu’avec Roscius il fît comparaison,
[F]urent tous l’écouter, plus pour lui faire niche,
Que pour voir s’il avait raison.
35    Dès le moment qu’ils l’entendirent
Ce fut de toutes parts un murmure confus :
Mille gens prévenus l’un à l’autre se dirent :
Eh fi ! Ce n’est pas Roscius.
[NP7]Il demande par grâce à poursuivre son rôle,
40    Mais ses efforts sont superflus :
À peine grogne-t-il que chacun le contrôle,
Et crie à haute voix : ce n’est pas Roscius.
Enfin dans un courroux extrême
Tirant un vrai cochon de dessous son manteau,
45    À qui, pour réussir dans un tel stratagème,
Il piquait sourdement la peau :
Roscius, leur dit-il, dont l’esprit est si beau
Fait donc mieux le cochon que le cochon lui-même.
Quand on juge avec passion
50    En tous lieux, en tous temps, mêmes choses arrivent :
C’est un guide trompeur que la Prévention ;
Elle égare ceux qui la suivent.

Ne croyez pas, Messieurs, que ce soit par un entêtement si ordinaire aux auteurs, et dont je suis peut-être autant susceptible qu’un autre, que je trouve de la prévention dans le jugement tumultueux que l’on fit de mon ouvrage. J’ai fait comme fit,[NP8] il y a quelque temps, un plaideur qui perdit une bonne cause : son procès jugé, il en porta les pièces à sept ou huit des plus fameux avocats, qui après un sérieux examen dirent que le gain en devait être infaillible. J’ai montré ma pièce, depuis le jugement qu’on en a fait, à des gens qui sont sur la cime du Parnasse, et qui ne voient qu’Apollon au-dessus d’eux ; et la plus solide louange que je puisse vous donner est qu’ils ont été de même sentiment que vous. Si je ne craignais d’être soupçonné d’un peu d’amour propre, j’ajoute[NP9]rais ici une approbation qui m’a été donnée je ne sais par qui. Comme je sortais un soir de la comédie, un de vos gardes13 me donna un billet cacheté, où quelqu’un, assez généreux pour me consoler d’une disgrâce qu’il crut apparemment que je ne méritais pas, avait eu la bonté de me mettre ces quatre vers :

Plus je vois ton ouvrage et plus j’en suis avide.
C’est ainsi qu’au temps ancien
Écrivaient le galant Ovide
Et l’ingénieux Lucien.

Je ne les mets point ici par une vanité ridicule, je les y mets par une juste reconnaissance. Je répète (et c’est la vérité) que je ne sais à qui {NP10 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k859427/f11} je suis redevable de cette grâce ; mais à qui que ce soit, j’y dois être assez sensible pour ne pas garder un silence ingrat dans une conjoncture où tout l’honneur est pour celui qui m’en a voulu faire. Son approbation ne déshonore pas la vôtre ; et vous ne serez pas fâchés de voir de votre parti un homme qui sait dire tant de choses en si peu de mots. Puisque vous avez fait plus que vous ne deviez pour moi, il est bien juste que je fasse ce que je dois pour vous ; et que j’associe à vos suffrages tout ce qu’il y a de gens éclairés qui {NP11 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k859427/f12} jugent des ouvrages d’esprit par le plaisir qu’ils y prennent, et non par le rapport qu’on leur en fait. C’est, Messieurs, dans cette vue que je donne Phaéton au public. Il vous a plu ; il a plu à des personnes d’un mérite au-dessus de l’expression ; sans compter l’applaudissement anonyme, qui n’est point d’un médiocre génie : j’en tire une conséquence qu’il faut de nécessité qu’il plaise à d’autres ; et je le souhaite, moins parce que je l’ai fait, que parce que vous l’avez approuvé. Je ne puis reconnaître l’obligation que je vous ai que {NP12 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k859427/f13} par cette voie ; et par la protestation que je vous fais d’être toute ma vie,

Messieurs,

Votre très humble, et obéissant serviteur,

Boursault.