IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

La Devineresse ou les Faux Enchantements, comédie représentée par la troupe du Roi

Corneille, Thomas ; Donneau de Visé, Jean

Éditeur scientifique : Barbillon, Chrystelle

Description

Auteur du paratexteCorneille, Thomas ; Donneau de Visé, Jean

Auteur de la pièceCorneille, Thomas ; Donneau de Visé, Jean

Titre de la pièceLa Devineresse ou les Faux Enchantements, comédie représentée par la troupe du Roi

Titre du paratexteAu lecteur

Genre du textePréface

Genre de la pièceComédie

Date1680

LangueFrançais

ÉditionParis, C. Blageart, 1680, in-12°

Éditeur scientifiqueBarbillon, Chrystelle

Nombre de pages5

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5800744h/f4

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/DonneauCorneille-Devineresse-Preface.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/DonneauCorneille-Devineresse-Preface.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/DonneauCorneille-Devineresse-Preface.odt

Mise à jour2015-09-22

Mots-clés

Mots-clés français

DramaturgieVraisemblance ; sujet / caractères ; intégration des ornements ; règles

ActionUnité d’action

Personnage(s)Devineresse

ComédiensTroupe du Roi

ScenographieEffets d’illusion ; machines

ReprésentationExcellence du jeu des comédiens

RéceptionSuccès ; pièce à clés

FinalitéMorale ; plaire et instruire

AutreÉdition pirate ; typographie

Mots-clés italiens

DrammaturgiaVerosimiglianza ; soggetto / caratteri ; integrazione degli ornamenti ; regole

AzioneUnità d’azione

Personaggio(i)Indovina

AttoriCompagnia del Re

ScenografiaEffetti d’illusione ; macchine

RappresentazioneEccellenza della recitazione dei comici

RicezioneSuccesso ; dramma a chiave

FinalitàMorale ; dilettare e istruire

AltriEdizione pirata ; tipografia

Mots-clés espagnols

DramaturgiaVerosimilitud ; sujeto / caracteres ; integración de los adornos ; reglas

AcciónUnidad de acción

Personaje(s)Adivina

Actor(es)Compañía del Rey

EscenografiaEfectos de ilusión ; máquinas

RepresentaciónExcelencia de la actuación de los actores

RecepciónÉxito ; pieza con clave

FinalidadMoral ; deleitar aprovechando

OtrasEdición pirata ; tipografía

Présentation

Présentation en français

Quatrième et dernière collaboration de Thomas Corneille et de Jean Donneau de Visé pour la troupe du théâtre Guénégaud1, La Devineresse, ou les Faux Enchantements répond doublement au goût du public de l’époque, tant par sa dramaturgie reposant sur des machines que par les échos que son sujet tisse avec l’actualité brûlante de l’affaire des Poisons. Dès lors, l’avis au lecteur, tout en soulignant le succès rencontré par la pièce, répond à la critique sur trois points : la conformité aux règles du poème dramatique, la fonction de la comédie, et enfin l’intégration des ornements à l’action.

Ne respectant pas la règle de l’unité d’action, la pièce se présente comme un défilé de personnages chez Mme Jobin, la Devineresse. L’avis au lecteur argumente en deux temps, soulignant l’unité du sujet malgré cette apparence décousue et la vraisemblance de cette structure particulière. En effet, l’intrigue comporte un élément unifiant, fondé sur un enjeu matrimonial et une rivalité amoureuse typique de la comédie – argument qui ne suffit toutefois ni à justifier ni à masquer cette structure centrifuge. Le dramaturge ajoute donc l’argument de la vraisemblance pour prouver la conformité de la pièce aux règles dramatiques malgré la succession de nombreux personnages chez la magicienne. Se dessine alors un deuxième enjeu, dans le rapport de l’intrigue avec l’actualité. Derrière l’argument horatien de l’utilité de la comédie, traité de manière assez cavalière et relayé par celui du plaisir également horatien, l’auteur de l’avis répond à la polémique qu’a suscitée une pièce qui pouvait être lue comme une œuvre à clés. Récusant toute interprétation en ce sens, l’auteur place le débat sur le terrain poétique. Ainsi s’opère la transition avec le dernier point, qui justifie, toujours par la vraisemblance, l’intégration de machines et d’illusions scéniques dans l’action : c’est paradoxalement au nom de la conformité avec la réalité des pratiques de divination et de la vraisemblance des caractères de la Devineresse et de ses clients crédules que la dimension spectaculaire est justifiée. Le texte liminaire se conclut sur un avertissement permettant de différencier les copies piratées de la pièce de cette impression officielle. De chacun des points de cet avis se dégage enfin le paradoxe de ce texte, qui s’efforce de relire sur le plan de la poétique dramaturgique le troublant rapport que cette pièce entretient avec son contexte immédiat.

Texte

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Au lecteur

[NP1] Le succès de cette comédie a été si grand, qu’il s’en est peu vu de semblables2. On y a couru, et on y court encore tous les jours en foule3. Beaucoup de gens en ont été d’autant plus surpris qu’y trouvant plusieurs acteurs, qui semblent n’agir que pour leur intérêt particulier, ils ont cru que divers caractères détachés ne pouvaient former une pièce4. Cependant, quand ils se sont appliqués à examiner toutes les parties de celle-ci, ils ont reconnu qu’il y avait plus de sujet qu’ils ne l’avaient cru d’abord, et que s’ils s’étaient imaginé qu’elle en manquait, c’était seulement parce qu’il était difficile d’y en mettre5. En effet, comme c’est chez une Devineresse que tout se passe, et que la plupart de ceux qui vont consulter ces sortes de gens ou ne se connaissent point [NP2] les uns les autres, ou cherchent toujours à se cacher, il semblait presque impossible de donner à cette pièce un nœud et un dénouement. On n’a pas laissé d’en venir à bout6. Une femme entêtée7 des devineresses, un amant intéressé à l’en détromper, et une rivale qui veut empêcher qu’ils ne se marient font un sujet qui se noue dès le premier acte et qui n’est dénoué dans le dernier que par le faux diable découvert8. Les autres acteurs, ou du moins une partie, sont gens envoyés par l’une ou l’autre des deux personnes intéressées, et qui par ce qu’ils rapportent augmentent la crédulité de la Comtesse, ou font croire plus fortement au Marquis que la Devineresse est une fourbe. Ainsi, on ne peut regarder ces personnages comme inutiles. Il est vrai qu’il y en a quelques-uns qui, ne connaissant ni la Comtesse, ni le Marquis, ne consultent Madame Jobin que pour eux-mêmes9 ; mais étant aussi fameuse qu’on la peint ici, eût-il été vraisemblable que pendant vingt-quatre heures il ne fût venu chez elle que des personnes qui se connussent, et qui servissent à l’action principale10 ? [NP3] Quoi qu’il en soit, on a eu pour but de faire voir que tous ceux et celles qui se mêlent de deviner abusent de la facilité que les faibles ont à les croire. Il faut regarder si la matière a été traitée de la manière qu’elle devait l’être pour faire remarquer leurs artifices ; et si cette comédie les a découverts, on peut dire qu’elle a produit l’effet que demande Horace, qui est d’instruire en divertissant11. Mais quand elle serait et contre les règles, et sans aucune utilité pour le public qu’on prétend qu’elle détrompe, ce serait toujours quelque chose de fort agréable à voir au théâtre12, puisqu’il ne se peut rien ajouter au jeu fin, aisé et naturel de l’excellente troupe qui la représente13. Tant de gens de toutes conditions ont été chercher les devineresses qu’on ne doit point s’étonner si on a trouvé lieu de faire quelques applications14. Il est pourtant vrai (et on se croit obligé de le protester) qu’on n’a eu aucune vue particulière en faisant la pièce ; mais comme dans cette sorte d’ouvrage, on doit travailler particulièrement à corriger les défauts des hommes, et que la véritable comédie [NP4] n’est autre chose qu’un portrait de ces défauts mis dans un grand jour, on n’en tirerait aucun profit s’il était déguisé de telle sorte qu’il fût impossible que personne s’y reconnût15. Ainsi, au lieu de deux ou trois applications qui ont été faites d’abord, on est fort persuadé que mille et mille gens se sont trouvés dans les divers caractères dont la comédie de la Devineresse est composée, et c’est parce qu’ils s’y sont trouvés qu’elle a pu leur être utile. Quant au spectacle, il n’y a point été mis pour faire paraître des ornements, mais comme absolument nécessaire, la plupart des devineresses s’étant servies de bassins pleins d’eau, de miroirs, et d’autres choses de cette nature, pour abuser le public16. Je sais qu’il y a des esprits forts qu’elles ne pourraient tromper ; mais comme presque toutes les personnes qui les consultent vont chez elles accompagnées seulement de leurs faiblesses, qu’elles sont timides et naturellement portées à tout croire, avec toutes ces dispositions jointes à la peur qui trouble l’esprit et qui empêche de bien examiner ce qu’on voit, on se persuadera sans peine qu’elles [NP5] se laissent tromper d’autant plus facilement qu’elles cherchent en quelque façon à être trompées. Ce qui contribue encore beaucoup à les faire tomber dans le panneau, c’est que tout ce qu’on leur fait voir paraît dans des lieux disposés exprès, s’étant trouvé quelques-uns de ces Trompeurs qui, par les fentes d’une muraille dont on ne pouvait presque s’apercevoir, ont à force de soufflets fait enfler17 et sortir des figures faites de véritables peaux d’hommes courroyées18. Jugez après cela de leur adresse, et si au lieu des timides dont je viens de vous parler, ces sortes de gens n’étaient pas capables d’embarrasser les personnes les plus résolues.

Comme beaucoup de gens assurent toujours qu’ils ont déjà vu la Devineresse imprimée, et que cette impression ne peut être qu’imparfaite et pleine de fautes19, pour connaître la véritable, il faut regarder si le titre de la première page et les mots de scène sont formés de lettres figurées telles qu’on les trouve ici20.