IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Les Fables d’Ésope

Boursault, Edme

Éditeur scientifique : Thouret, Clotilde

Description

Auteur du paratexteBoursault, Edme

Auteur de la pièceBoursault, Edme

Titre de la pièceLes Fables d’Ésope

Titre du paratextePréface nécessaire

Genre du textePréface

Genre de la pièceComédie

Date1690

LangueFrançais

ÉditionParis, Théodore Girard, 1690, in-12°

Éditeur scientifiqueThouret, Clotilde

Nombre de pages7

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k74055n.r

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Boursault-Esope-Preface.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/Boursault-Esope-Preface.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Boursault-Esope-Preface.odt

Mise à jour2015-07-24

Mots-clés

Mots-clés français

GenreComédie ; comédie morale

SourcesÉsope

SujetInventé

DramaturgieNœud ; intrigue ; respect des règles ; fidélité à l’histoire ; fables

TempsAntiquité / présent ; anachronisme

ActionNœud ; fables

Personnage(s)Ésope ; enfants

ScenographieJeu de théâtre

RéceptionSuccès / critiques ; peuple / doctes ; titre original modifié, car facteur d’erreur

FinalitéMorale ; plaisir ; satire

ExpressionLangage des enfants ; vers / fables (modèle de La Fontaine)

Relations professionnellesLibraires

ActualitéPolémique sur le théâtre

AutreAristote ; Horace

Mots-clés italiens

GenereCommedia ; commedia morale

FontiEsopo

ArgomentoInventato

DrammaturgiaNodo ; intreccio ; rispetto delle regole ; fedeltà alla storia ; favole

TempoAntichità / presente ; anacronismo

AzioneNodo ; favole

Personaggio(i)Esopo ; bambini

ScenografiaGioco di teatro

RicezioneSuccesso / critiche ; popolo / dotti ; titolo originale cambiato perché fonte di errori

FinalitàMorale ; diletto ; satira

EspressioneLinguaggio dei bambini ; versi / favole (modello di La Fontaine)

Rapporti professionaliLibrai

AttualitàPolemica sul teatro

AltriAristotele ; Orazio

Mots-clés espagnols

GéneroComedia ; comedia moral

FuentesEsopo

TemaInventado

DramaturgiaNudo ; intriga ; respeto hacia las reglas ; fidelidad a la histoira ; fábulas

TiempoAntigüedad / presente ; anacronismo

AcciónNudo ; fábulas

Personaje(s)Esopo ; niños

EscenografiaAcción escénica

RecepciónÉxito / críticas ; vulgo / doctos ; título original modificado, por ser fuente de error

FinalidadMoral ; placer ; sátira

ExpresiónLenguaje de los niños ; versos / fábulas (modelo de La Fontaine)

Relaciones profesionalesLibreros

ActualidadPolémica sobre el teatro

OtrasAristóteles ; Horacio

Présentation

Présentation en français

Après avoir failli sombrer aux premières représentations en janvier 1690, la comédie d’Ésope rencontre un grand succès. Pour la publication, en mars de la même année, Boursault modifie le titre pour Les Fables d’Ésope (qui deviendra Ésope à la ville après la représentation et la publication d’Ésope à la cour en 1701), et l’accompagne d’une « Préface nécessaire ». Cette nécessité tient d’une part à la nouveauté de la forme, qui allie fables et comédie dans une structure dramatique en parade, et d’autre part à la dimension moralisante d’une pièce finalement assez différente de la production comique contemporaine d’un Dancourt ou d’un Regnard. Quelques années plus tard, en 1694, la publication d’un recueil de comédies de Boursault sera l’occasion de l’un des épisodes les plus violents de la polémique sur le théâtre (le recueil était accompagné par une lettre du père Caffaro qui autorisait la comédie, provoquant l’intervention de Bossuet dans le débat). Dans leurs écrits respectifs, Caffaro et Boursault invoqueront Les Fables d’Ésope comme un parfait exemple de la moralité de la comédie.

La préface met d’abord en avant le succès rencontré par la pièce : elle a su plaire au public parce que les règles y sont observées. Boursault se défend logiquement ensuite des fautes que certains spectateurs, selon lui mal intentionnés, ont relevées. Il revient en premier lieu sur les anachronismes (Ésope rencontre notamment un huissier et une veuve de de notaire) : ils sont nécessaires à la portée satirique et morale de sa pièce. En deuxième lieu, il défend le manque d’action qu’on lui a reproché : non seulement son sujet l’exige, mais c’est par là qu’il a pu introduire toute une série de personnages plaisants et qui ont donné lieu à des réflexions morales intéressantes. Les règles, comme les lois, ne prévoient pas tous les cas, et la nouveauté de sa comédie justifie qu’il ait en quelque sorte suivi l’esprit des règles plus que la lettre. Il est question en troisième lieu de la scène avec les enfants (III, 6), pour laquelle il justifie la vraisemblance des discours. Finalement, Boursault souligne les risques qu’il a pris avec sa comédie, notamment en suivant La Fontaine, et explique par la surprise du public l’accueil d’abord défavorable réservé à sa pièce. Les spectateurs ont compris son dessein dans un second temps et ont su alors apprécier l’instruction morale dont la comédie était porteuse.

Texte

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Préface nécessaire

[NP1] Le succès que cet ouvrage a eu semble le justifier assez, et ce serait mal reconnaître les obligations que j’ai à la voix publique de douter qu’il n’y ait du bon, puisqu’elle y en a trouvé1. Le meilleur témoignage que j’en puisse rendre est l’empressement qu’on a eu, non seulement de le voir, mais de le voir plusieurs fois. Et comme toutes les règles du théâtre n’ont jamais eu d’autre but que celui de plaire, je crois les avoir suffisamment observées puisqu’il y a peu de personnes à qui je n’aie plu. Je dis peu de personnes, car il y en a toujours quelques-unes qui mettent toute leur étude à se distinguer, et qui font consister tout leur esprit à le faire paraître singulier. Si c’est en avoir beaucoup de remarquer des fautes dont le public ne s’aperçoit pas, c’est ne l’avoir pas trop raisonnable de vouloir résister au torrent, et je prendrais le parti de ne pas dire mon sentiment, quelque bon qu’il me parût, si je le voyais opposé à celui de tout le monde. Non que je sois assez té[NP2]méraire pour me persuader sottement que cette pièce soit exempte de fautes : je les connais aussi bien que qui que ce soit, et pour dire quelque chose de plus, je les ai même connues en les y mettant, et n’ai pas laissé de les y mettre, parce que j’aurais cru en faire une plus grande de les en ôter. Quelque injustice qu’on me puisse faire, je suis sûr qu’on ne m’en fera pas assez pour s’imaginer que je n’aie pas su que du temps d’Ésope il n’y avait ni huissiers, ni procureurs, ni conseillers garde-notes2, ni présidents au mortier3, ni duc et pairs ; ou que s’il y avait pour le peuple des charges à peu près semblables, et pour les personnes de qualité des dignités équivalentes, c’était sous des noms différents4. Mais de quel fruit aurait été la morale ingénieuse et divertissante dont cette pièce est remplie si je m’étais servi de noms et de termes inconnus ? Et comment aurais-je pu faire sentir ce qu’on aurait eu beaucoup de peine à connaître5 ? Je sais qu’en ce temps-là il n’y avait point de libraires qui vendissent des livres défendus dans l’arrière-boutique, ni qui contrefissent ceux de leurs confrères6 ; mais comme toute la vigilance d’un magistrat aussi équitable qu’austère ne peut si bien abattre cette hydre qu’il n’en paraisse toujours quelque {NP3http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k74055n/f10} tête, Ésope ayant été l’un des plus raisonnables hommes du monde, et la raison étant de tous les pays et de tous les temps, s’il n’est pas vrai qu’il ait dit ce que je lui fais dire, il est au moins vraisemblable qu’il n’aurait pas manqué de le dire si ce désordre eût été de sa connaissance7. Et cela suffit.

Cette comédie, à ce que disent les gens singuliers dont j’ai parlé8, n’a pas un assez grand nœud9, ni assez de jeu de théâtre. Et si cette pièce a quelque mérite, c’est justement de là que je prétends le tirer. Avoir pu trouver un nœud à Ésope c’est sans doute quelque chose, et les maîtres de l’art10 n’en peuvent disconvenir ; mais avoir eu le secret de le faire assez petit pour ménager le terrain et pour introduire sur la scène des personnages qu’on aime mieux y voir que les personnages du sujet même, c’est à mon sens ce qu’on en doit le plus estimer ; ou pour mieux dire ce qu’on en doit blâmer le moins11. Je m’en rapporte de bonne foi à ceux qui ont honoré cette comédie de leur présence. Qu’ils disent si les scènes de la précieuse, du paysan, de la mère dont on a enlevé la fille, de la conseillère garde-note, et toutes les autres de cette nature, qui ne tiennent au sujet que par la rela[NP4]tion que les personnages ont avec Ésope, ne leur ont pas fait plus de plaisir que le reste, et si la morale satirique et instructive dont elles sont accompagnées n’est pas ce qui les a le plus intéressés. En un mot, cette pièce est d’un genre si différent de toutes les autres qu’il la faut regarder, pour ainsi dire, avec d’autres yeux et ne pas l’ajuster à des règles, judicieuses à parler en général, mais chimériques dans une espèce aussi particulière que celle-ci. Si j’osais faire une comparaison de la chose du monde la plus sérieuse à celle qui l’est le moins, je dirais qu’il en est des règles du théâtre comme des lois de la justice : les législateurs ont marqué les cas où elles doivent être appliquées, et pour lors c’est une leçon prescrite ; mais dans des cas qui ne sont pas tombés sous leur sens, et que le hasard fait naître malgré toute la prévoyance humaine, c’est à ceux qui en sont les juges à faire des lois nouvelles pour les cas qui n’ont pas été prévus ; et de même dans toutes les choses qui arrivent, et qu’on n’a pas été obligé de prévoir. Si ces grands génies de l’Antiquité, je veux dire Aristote et Horace, qui ont donné des règles pour le théâtre, avaient pu se figurer qu’Ésope eût dû y paraître quelque jour, ils auraient cherché tout ce [NP5] qui aurait été capable de le faire réussir ; et puisqu’il n’a pas moins réussi que s’ils m’avaient marqué le chemin que je devais suivre, il faut apparemment que j’aie trouvé ce qu’ils m’auraient enseigné eux-mêmes12.

Pour le jeu de théâtre, je l’ai ménagé autant qu’il m’a été possible dans le peu que le sujet m’en a fourni, et je crois même l’avoir assez heureusement disposé pour y attacher l’attention de l’auditeur jusqu’à la dernière scène, qui est l’effet le plus favorable qu’on puisse attendre en semblable occasion. Il y a une scène de petits enfants, qui finit le troisième acte, qui a eu assez de succès pour mériter d’avoir des censeurs. C’est une fable que j’ai mise en action13, et voici les défauts qu’on y a trouvés. On dit que ces enfants ont trop d’esprit, et qu’Ésope leur dit de trop belles choses. C’est un reproche qui me fait honneur ; et j’aime mieux pécher de ce côté-là que de l’autre. Mais pour répondre à une si faible objection, il est constant, et j’en prends l’expérience à témoin, qu’on voit tous les jours de petits enfants de qualité qui ont une si belle éducation que rien n’est plus agréable que ce qu’ils disent14. Et peut-être même a-ce été à en entendre parler quelques-uns que j’ai pris le style dont j’ai eu besoin pour ceux [NP6] que j’ai mis sur le théâtre. Je dois aussi ce témoignage à la vérité que ceux qui y ont trouvé à dire ne sont pas d’une qualité distinguée, et comme leurs enfants ne parlent peut-être pas si bien que ceux-là, ils ignorent ce que d’autres sont capables de dire. Pour Ésope, qui ne laissait échapper aucune occasion de bien faire et qui, après avoir eu la bonté de prêter l’oreille à leur petit différend, les exhorte à avoir de l’amitié l’un pour l’autre, il n’y a rien dans ce qu’il leur dit qui ne soit dans la fable que ces petits enfants représentent ; et je consens volontiers que ce que je ferai à l’avenir soit exposé à une pareille censure à condition d’un même succès.

Quelque grand qu’il ait été, j’avoue que j’ai tremblé plus d’une fois et que, s’il y a de la gloire à acquérir à mettre quelque chose de nouveau au jour, il y a beaucoup de danger à craindre. Le peuple, qui s’attendait à voir une comédie ordinaire qui, d’intrigue en intrigue et à la faveur de quelques plaisanteries, va insensiblement à la fin de son sujet, fut surpris d’entendre des fables, à quoi il ne s’attendait pas (car cette pièce n’avait été promise que sous le nom d’Ésope) et ne sut d’abord de quelle manière il devait les recevoir15. Mais quand il comprit le sens qu’elles ren[NP7]fermaient, et qu’il vit toute l’étendue de leur application, il se voulut mal de l’injustice qu’il m’avait rendue, et ses applaudissements furent, si j’ose me servir de ce terme, comme la réparation de son murmure. Ainsi, j’ai tous les sujets imaginables de m’en louer et je n’en ai aucun de m’en plaindre16.

Ce qui m’a paru de plus dangereux dans cette entreprise, ç’a été d’oser mettre des fables en vers après l’illustre Monsieur de La Fontaine, qui m’a devancé dans cette route, et que je ne prétends suivre que de très loin17. Il ne faut que comparer les siennes avec celles que j’ai faites pour voir que c’est lui qui est le maître : les soins inutiles que j’ai pris de l’imiter m’ont appris qu’il est inimitable ; et c’est beaucoup pour moi que la gloire d’avoir été souffert où il a été admiré.