IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Brutus

Bernard, Catherine

Éditeur scientifique : Arestan, Jade

Description

Auteur du paratexteBernard, Catherine

Auteur de la pièceBernard, Catherine

Titre de la pièceBrutus

Titre du paratextePréface

Genre du textePréface

Genre de la pièceTragédie

Date1691

LangueFrançais

ÉditionParis : Veuve de Louis Gontier, 1691, in 12°.

Éditeur scientifiqueArestan, Jade

Nombre de pages6

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5734466w

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Bernard-Brutus-Preface.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/Bernard-Brutus-Preface.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Bernard-Brutus-Preface.odt

Mise à jour2014-01-14

Mots-clés

Mots-clés français

SourcesTite-Live

SujetFidélité à l’Histoire / adaptation aux mœurs contemporaines

Personnage(s)Altération des caractères ; bienséance ; utilité

RéceptionGoût du public

MetadiscoursPrincipe de la préface

Mots-clés italiens

FontiTito-Livio

ArgomentoFedeltà alla storia / adattamento ai costumi contemporanei

Personaggio(i)Alterazione dei caratteri ; decoro ; utilità

RicezioneGusto del pubblico

MetadiscorsoIdea della Prefazione

Mots-clés espagnols

FuentesTito-Livio

TemaFidelidad a la Historia / adaptación a las costumbres contemporáneas

Personaje(s)Alteración de los caracteres ; decoro ; utilidad

RecepciónGusto del público

MetadiscursoPrincipio del prefacio

Présentation

Présentation en français

Brutus, tragédie représentée pour la première fois en 1690 et jouée vingt-cinq fois par les comédiens ordinaires du roi au cours de cette même année1, est la seconde tragédie de Catherine Bernard2. Alors que sa première tragédie, Laodamie, reine d’Epire (1689), n’a bénéficié d’aucun texte liminaire, celle-ci est précédée d’une épître dédicatoire – adressée à la duchesse Louise-Françoise de Bourbon, fille de Louis XIV – ainsi que d’une préface pour le moins assertive. Mlle Bernard fait montre dans cet écrit de sa connaissance aiguë de la tradition théâtrale tant dans sa réception que dans sa création. Elle y signale d’emblée que, si c’est là la première préface que sa main nous livre, elle en a lu de nombreuses autres. C’est évidemment son sexe qui impose à l’auteur un tel préambule, une femme dramaturge devant alors se légitimer constamment. Toutefois, il est à noter que le reste du texte ne met pas en scène un quelconque ethos féminin, Mlle Bernard ne se livrant pas même au topos répandu de la modestie affectée et prenant entièrement en charge son énoncé et ses opinions toutes personnelles.

Accusée d’avoir déformé le caractère de ses personnages tels que les dépeint l’Histoire et d’avoir dérogé par là-même à la bienséance interne, la dramaturge se défend en invoquant le principe de son inventio. Elle déclare avoir peint Brutus non comme le sénateur tyrannique que put connaître le peuple, mais comme l’homme du quotidien appréhendé dans son intimité familiale. Elle s’appuie pour ce faire sur les nuances qu’avait pu introduire dans son Histoire Romaine l’historien Tite-Live. Elle revendique une conception du rapport à l’Histoire que l’on peut rapprocher de celles de Corneille et de Racine, fondée sur une fidélité globale et non de détail. En habituée des salons et en femme cultivée, elle se soucie en outre de la réception de ses pièces en prêtant attention à l’esthétique galante que tous attendent de trouver dans les tragédies en cette fin de siècle. Le texte se poursuit par la défense des autres personnages du Brutus, accusés tantôt de déroger à leur ethos, tantôt d’être inutiles à l’action. Dans le premier cas, là encore, l’auteur se justifie par la caution historique et par l’adéquation aux goûts du temps. Cependant, et cette constatation va à l’encontre de l’effort marqué de l’auteur tout au long de la préface pour s’affirmer comme dramaturge fière et légitime, le texte semble comme inachevé. Terminant de manière abrupte sans aucune sorte de clausule, Catherine Bernard fait part au lecteur de ses doutes sur la dispositio de sa pièce, concédant un défaut éventuel au sujet du rôle qu’elle avait accordé à Valérie.

La préface du Brutus de Catherine Bernard est un texte riche d’enseignements, proposant au lecteur sur le regard critique qu’une femme auteur du XVIIe siècle pouvait porter à la fois sur le théâtre et sur son théâtre. En n’ayant de cesse d’invoquer l’Histoire tout en adoptant une tonalité moralisatrice, la dramaturge nous informe de ce dilemme que pouvait éprouver toute femme se mêlant d’écrire : faire montre de son savoir et de sa maîtrise de l’écriture et, dans le même temps, se garder d’être pédante et conserver sagement sa place de femme, entre tendresse et civilité.

Texte

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Préface            

[NP1] Je sais que la coutume des préfaces que l’on met au-devant des pièces de théâtre est de réfuter, et même assez fièrement, ce qui a été dit contre la pièce ; je tâcherai à ne point suivre cet usage. On a fait des critiques sur Brutus : je ne demande que la liberté de me défendre. Après quoi, si l’on n’est pas content de mes raisons, je passe condamnation.

Quelques-uns ont trouvé que j’avais un peu trop adouci le caractère de Brutus, et Plutarque3 à la vérité en parle comme d’un homme si barbare qu’il n’est pas surprenant que nos excellents auteurs aient négligé ce sujet. Pour moi, je n’aurais pas eu la témérité de le prendre s’ils nous en avaient laissé d’au[NP2]tres, et si d’ailleurs je n’avais vu dans Tite-Live4 de quoi me rassurer sur les sentiments de Brutus. Cet historien dit qu’au travers de sa fermeté, on lui voyait une douleur profonde. Il s’agit alors de l’état où il parut en public ; selon toutes les apparences il se ménageait moins en particulier, et toute sa douleur éclatait. Je ne l’ai pas représenté dans le Sénat, ni exposé aux yeux du peuple, mais dans un lieu, et dans des temps où il pouvait laisser agir les mouvements les plus secrets de son cœur. Quand même j’aurais un peu changé le caractère de Brutus, je n’aurais fait que rapprocher de nos mœurs une action qui en est fort éloignée, qui est extraordinaire même dans les mœurs romaines ; et c’est, ce me semble, la pratique commune du théâtre que, pourvu que l’on conserve l’essentiel des actions, on est assez maître des motifs et des autres circonstances5. Mais je crois pouvoir dire encore quelque chose de plus fort : l’action de Brutus n’est point une action de vertu si l’on peut soupçonner qu’il y entre de la férocité naturelle ; il faut pour être héroïque qu’el[NP3]le coûte infiniment.

Ce qui me doit faire sentir combien j’aurais hasardé en donnant un courage plus dur à Brutus, c’est la difficulté que quelques gens ont eue de goûter celui de Titus, qui vient s’accuser lui-même et demander le supplice. Cependant, la dureté qu’on a pour soi-même doit être plus aisément supportée que celle qu’on a pour les autres. Je prie que l’on considère que Titus a toute la vertu imaginable, que s’il s’oublie dans un instant, et dans des circonstances qui ne lui laissaient pas l’usage libre de sa raison, sitôt qu’il est revenu à lui-même, il doit avoir horreur du crime où il est tombé, qu’il sent un poids dont il faut qu’il se soulage, qu’enfin il ne peut se réconcilier avec lui-même qu’en effaçant à ses propres yeux, comme à ceux des autres, par un aveu public de sa trahison, l’infamie de ce qu’il a fait6.

Ceux qui ont trouvé de l’indignité à venir demander de mourir sur un échafaud n’ont sans doute pas songé que cette honte même est ce qui fait sa gloire, puisqu’il la subit volontairement parce [NP4] qu’il l’a méritée, et qu’il veut servir d’exemple à ceux qui oseraient faire le même crime. Voilà l’utilité de son action ; je répète ici les mêmes choses que j’ai dites dans la pièce, et qui auraient pu prévenir les critiques, si l’on s’en était souvenu.

On sait jusqu’à quel excès allait l’amour de la patrie chez les Romains : n’y doit[-on] pas proportionner le repentir d’avoir fait contre elle le plus grand de tous les attentats ? C’est ce que j’ai à répondre à ceux qui me disent qu’il n’y a point d’exemple de cela dans l’Histoire. Il n’y a point d’exemple aussi de la même faute dans un homme vertueux, et il me suffit d’avoir suivi le génie7 des Romains : j’ai eu la liberté d’imaginer un trait fondé sur ce caractère, et sur l’état particulier où se trouve Titus. On n’eût point désapprouvé qu’il se fût donné la mort dans le remords infini qu’il avait de sa faute. Mais il n’aurait point fait assez puisqu’il y avait quelque chose de plus à faire, et une moindre action n’aurait pas été capable d’attendrir Brutus, à qui il fallait trouver moyen de donner [NP5] quelques sentiments naturels : s’il ne devait pas être sensible pour son fils, il le devait du moins être à la vertu héroïque de ce fils.

On a pu remarquer que je lui donne beaucoup de dureté pour Tibérinus. Il ne change point ensuite, quand il s’adoucit à la vue d’un courage digne du sien : c’est le même sentiment sous une autre forme. Il est vrai que je le fais parler également8 de ses deux fils dans le cinquième acte, mais il n’a pu séparer leurs intérêts, puisqu’ils étaient tombés dans la même faute ; et il est aisé de voir que ce n’est que Titus qui attire toute sa pitié.

Il me reste quelque chose à dire sur Vindicius, pour ceux qui ne savent pas que c’est un trait historique qu’il fut affranchi pour avoir découvert la conjuration qui se faisait pour Tarquin. Le même amour de la patrie dont j’ai déjà parlé suffit, ce me semble, pour justifier le soin que Titus prend de demander la liberté de cet esclave : il était de l’intérêt de Rome qu’un si grand service ne demeurât pas sans récompense.

[NP6] Valérie et Tibérinus ont été également attaqués, quoique tous deux nécessaires. Tibérinus ne pouvait être retranché de cette tragédie : on sait trop que les deux fils de Brutus avaient conspiré. Tibérinus sert à donner de la jalousie à son frère, et à l’entraîner dans la conjuration ; s’il n’a pas un courage héroïque, il donne du relief à Titus. Il l’a fallu sacrifier à un personnage plus important, et ce serait un grand défaut dans une pièce de théâtre que tous les caractères fussent pareils. Il demande sa grâce, mais c’est à son père, et cette circonstance peut le rendre moins condamnable.

C’est Valérie qui découvre la conjuration par le moyen de son esclave ; et si son rôle n’a pas paru avoir assez de mouvement, peut-être cela vient en partie de ce que j’en avais retranché une scène que je redonnerai, sans oser cependant décider si j’ai eu raison de l’ôter, ou de la remettre.