IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

L’Iphigène d’Euripide poète tragique, tourné de grec en français par l’auteur de l’Art Poétique, dédié à Monsieur Jean Brinon, Seigneur de Villaines et Conseiller du Roi notre Sire en sa cour de Parlement à Paris

Sébillet, Thomas

Éditeur scientifique : Busca, Maurizio

Description

Auteur du paratexteSébillet, Thomas

Auteur de la pièceSébillet, Thomas

Titre de la pièceL’Iphigène d’Euripide poète tragique, tourné de grec en français par l’auteur de l’Art Poétique, dédié à Monsieur Jean Brinon, Seigneur de Villaines et Conseiller du Roi notre Sire en sa cour de Parlement à Paris

Titre du paratexteAux Lecteurs

Genre du textePréface

Genre de la pièceTragédie

Date1549

LangueFrançais

ÉditionParis, Gilles Corrozet, 1549, in-8°. (Numérisation en cours)

Éditeur scientifiqueBusca, Maurizio

Nombre de pages4

Adresse source

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Sebillet-Iphigene-Preface.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/Sebillet-Iphigene-Preface.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Sebillet-Iphigene-Preface.odt

Mise à jour2014-12-09

Mots-clés

Mots-clés français

GenreTragédie

SourcesEuripide ; conformité non servile au modèle

Personnage(s)Chœur ; problème de la francisation ou non du nom des personnages grecs

ExpressionGravité (genus gravis) ; diversité des vers et des rimes, volonté de rendre la variété métrique du grec en français ; vouvoiement pour s’adresser à des personnages nobles (convenance de l’élocution) ; orthographe ; francisation ou latinisation, sur le modèle de Virgile, des noms propres

AutrePolémique sous-jacente avec Du Bellay

Mots-clés italiens

GenereTragédie

FontiEuripide ; conformità non serva al modello

Personaggio(i)Coro ; problema della francesizzazione o meno dei nomi dei personaggi greci

EspressioneGravità (genus gravis) ; diversità dei versi e delle rime, volontà di rendere la varietà metrica del greco in francese ; uso del Lei per indirizzarsi a personaggi nobili (decoro dell’elocuzione) ; ortografia ; francesizzazione o latinizzazione dei nomi di persona, sul modello virgiliano

AltriPolemica latente con Du Bellay

Mots-clés espagnols

GéneroTragedia

FuentesEurípides ; conformidad no servil con el modelo

Personaje(s)Coro ; problema del afrancesamiento o no del nombre de los personajes

ExpresiónGravedad (genus gravis) ; diversidad de versos y rimas, voluntad de restituir la variedad métrica del griego en francés ; tratamiento de usted para dirigirse a personajes nobles (conviniencia de la elocución) ; ortografía ; afrancesamiento o latinización, según el modelo de Virgilio, de los nombres propios

OtrasPolémica subyacente con Du Bellay

Présentation

Présentation en français

L’avis « Aux Lecteurs » de L’Iphigène présente un intérêt particulier pour ce qui concerne le débat sur la langue opposant, entre 1548 et 1550, Thomas Sébillet et Joachim du Bellay1. Ce dernier, qui, dans sa Défense et illustration de la langue française, avait critiqué plusieurs points de l’Art poétique français de Sébillet, dut se défendre, dans la seconde préface de l’Olive, contre la riposte que Sébillet lui avait donnée dans ce présent avis « Aux Lecteurs ». Bien qu’insérées dans le cadre d’une polémique dont les enjeux ne concernent pas directement le théâtre, les questions soulevées ici sont étroitement liées aux réflexions de Sébillet sur la tragédie et sur la traduction du théâtre gréco-latin.

Sébillet affirme avoir voulu rendre en français la gravité du style d’Euripide (allusion au genus gravis), en essayant de reproduire l’hétérogénéité métrique de la tragédie grecque et notamment des sections chorales. Pour ce faire, il a été contraint de se servir d’une grande variété de vers, parmi lesquels des vers très courts qui peuvent entraver la fluidité de l’ensemble. Sébillet est bien conscient des risques auxquels cette démarche l’expose : pour comprendre son choix, il faut considérer que la traduction de l’Iphigénie en Aulide représente pour lui une occasion d’illustrer les règles qu’il avait énoncées et les catégories qu’il avait répertoriées dans son Art poétique, ainsi que de prôner les formes poétiques rejetées par Du Bellay dans la Défense. Il se sert de presque tous les vers français recensés dans son traité, de l’alexandrin au dissyllabe, ainsi que de formes de poème telles que le sonnet, le lai et le virelai2. Après avoir justifié ses choix métriques et stylistiques tout en revendiquant, de façon polémique, une certaine mignardise marquant son adhésion au cercle de Marot et de Saint-Gelais, Sébillet aborde des questions concernant l’orthographe (apologie de la simplification), la bienséance (introduction du vouvoiement pour se conformer à l’usage français, plus civil que l’usage antique qui ne connaît que le tutoiement) et la traduction des noms de personne (oscillation entre formes grecques et latines pour des raisons prosodiques). En prévision sans doute de contre-attaques de la part de Du Bellay, Sébillet se montre toujours soucieux de corroborer ses choix en s’appuyant sur des exemples classiques : aussi, dans son refus de la traduction mot à mot, se rattache-t-il implicitement à un précepte d’Horace3.

Texte

Afficher les occurrences dans les notes

Aux Lecteurs

{NP1} Amis Lecteurs, je vous veux bien aviser de ma conception en quelques particularités que vous pourrez trouver étranges, et à l’aventure trop rudes4, avant qu’entendre ma raison, laquelle découverte les pourra aussi beaucoup adoucir. En premier lieu, je me suis conformé au style de ma version tout au plus près que j’ai pu à la gravité de l’auteur5, et au demeurant l’ai suivi quasi à pied levé6 en la forme des vers7, rendant les trochaïques grecs en alexandrins français8, les ïambiques trimètres et quelques anapestiques en héroïques9, les autres mêlés de divers genres plus petits et usurpés10 par Euripide au c[h]œur11 introduit en cette Tragédie, en diverses sortes aussi de moindres vers, et aucunefois12 tant petits, et pour leur petitesse tant malaisés à vêtir de leur livrée, que j’ai bien grande peur que la rudesse par endroits ne vous en déplaise. Mais votre douceur et grande humanité me récrée, et donne espo[i]r que ne trouverez rien tant rude et mauvais comme il sera ; mais balançant l’âpreté des vers contre votre équanimité et la raison (à laquelle savez tant bien réduire toutes choses), jugerez promptement que la difficulté de traduire augmentée par la sujétion du petit vers, rimé le plus souvent à quatre et à six13, est assez forte pour empêcher le fluide et gracieux cours de la fontaine Caballine14. Et à cela me suis-je quasi contraint exprès, pour faire qu’en ce petit poème toutes sortes de rimes et tous genres de vers fussent à peu près compris15, comme connaîtrez que {NP2} j’ai fait si vous avisez de près. Car vous y lirez des vers depuis deux sy[ll]abes jusques à treize16, et la plus grande part des assiettes de rime17 aujourd’hui usurpées en notre langue française, voire jusques au sonnet, lai, virelai18 et rime altérée19, et n’y eusse omis le rondeau, s’il y fût autant bien venu à propos20. Cette mienne mignardise, à l’aventure, déplaira à la [délicatesse] de quelques hardis repreneurs21 : mais si je sais que la friandise vous en plaise, ce me sera plaisir de leur déplaire en vous plaisant. J’ai davantage tant osé que de me retirer en quelques choses de l’opinion et abus vulgaire, et du grand chemin des vaches22. Ce que le Grec a dit Χόρος, le Latin Chorus, et savants hommes français ont qui retenu chorus, qui retourné chore, je l’ai traduit et écrit Cœur : traduit, pource que le Grec et Latin, entendant par ce mot troupe d’hommes ou de femmes, ou personne la représentant, ne seront point mal exprimés en disant Cœur, qui en notre langage français signifie même chose aux collèges ecclésiastiques ; écrit, afin que le lisant, ne disiez Chœur, comme chose. J’ai aussi observé23 qu’un vieillard serviteur parlant au roi Agamemnon son maître, Ménélæ à son frère, Iphigène à son père, Clytemnestra au prince Achilles et autres en même analogie, ne dissent toi, mais vous : pource qu’il m’a semblé que notre phrase française, l’usurpant ainsi suivant la dignité des personnes, ne doit être rejetée pour se manciper24 à l’arrogance romaine, et lui donner occasion tous les jours plus grande de nous reprocher ses richesses. Quant à l’orthographe, je ne m’amuserai ici à m’en excuser, car j’ai en autre endroit25 dit les raisons pour lesquelles je m’assujet{NP3}tis avec le grand César Auguste à exprimer par l’écriture le naïf de ma prononciation26. Et s’il vous prend par fortune envie de me reprocher qu’en cet endroit j’entreprends avec d’autres (gens, nonobstant ce, de bon esprit) forcer l’usage commun au grand contènement27 de la vénérable antiquité, je vous supplie humblement, Lecteurs, estimer que j’admire et révère nos majeurs, et les suis pas à pas partout où raison les a conduits ; mais pensez aussi que sans elle je ne m’arrêterai au plaisir d’un praticien qui écrivant prend plus près garde à emplir son bout de papier qu’à raison qu’il sût rendre, ni autre pour lui, pourquoi il écrit ainsi28. Si au reste je n’ai traduit vers pour vers, [ç’a] été pource que je ne l’ai pu et que je crois qu’il ne se peut faire, et l’eussent entrepris ceux qui fondent l’immortalité de leur nom sur moindre chose que cela29. Si j’ai dit ici Ménélaüs, Tyndarus, etc. là Ménélae, Tyndare, etc., la sujétion de la coupe et quelque fois de la rime m’y a contraint ; mais aussi m’aidant du mot latin à mon besoin, je ne suis tant loin de raison que je ne le fasse à l’exemple de Virgile et autres classiques poètes latins, lesquels souvent di[se]nt Pallada, Thesea, etc., semblables là où le pied du vers les contraint, et ne veut recevoir Palladem, Theseum, et semblables purs latins. Je ne daignerais répondre à celui qui voudrait dire qu’il ne m’est permis de faire tout ce que Virgile a fait : car c’est la raison de ceux qui n’ont autre pilier plus sûr pour soutenir leur calomnie. Finablement30, si je n’ai tant purement, doucement, naïvement, élégamment, richement et mignonnement tourné l’Iphigène d’Euripide que Marot a fait le Léandre du poète Musée31, {NP4} aussi ne suis-je, ne pensé-je être Marot. Si la langue française n’est illustrée par la version des poèmes32, on ne s’en doit attacher à moi qui n’en suis illustrateur ne gagé ne33 renommé. Si je fais moins pour moi en traduisant anciens auteurs qu’en cherchant inventions nouvelles, je ne suis toutefois tant à reprendre que celui qui se vante d’avoir trouvé ce qu’il a mot à mot traduit des autres34.

Si cette version n’est suffisante pour immortaliser mon nom, aussi ne l’y veux-je mettre en titre35. Si je ne suis lu et loué des poètes de la première douzaine36, aussi n’ai-je pas écrit à cette intention. Car j’écris aux Muses et à moi ; et si quelqu’un par fortune prend plaisir à mes passe-temps, je ne suis pas tant ennuyeux37 de son aise que je lui veuille défendre la communication de mes ébats pour les réserver à une affectée demi-douzaine des estimés princes de notre langue, et par ce moyen chercher leur applaudissement. Et c’est la cause pourquoi aisément je vous communique la présente traduction : n’en affectant ne louange d’industrie38, n’immortalité de nom39, mais simplement satisfaisant à la requête que m’en ont faite aucuns de mes amis, suivant la bonne volonté qu’[il] leur plaît me départir. Pour laquelle entretenir, et poursuivre votre bonne grâce, vous pouvez croire, Lecteurs, que je ne craindrai me mettre en plus grand hasard d’être aboyé des chiens gardant les boutiques en tous les détroits et endroits où je penserai, passant, vous donner quelque plaisir.