IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Phèdre et Hippolyte

Racine, Jean

Éditeur scientifique : Forestier, Georges et Fournial, Céline

Description

Auteur du paratexteRacine, Jean

Auteur de la pièceRacine, Jean

Titre de la piècePhèdre et Hippolyte

Titre du paratextePréface

Genre du textePréface

Genre de la pièceTragédie

Date1677

LangueFrançais

ÉditionParis : Claude Barbin, 1677, in-12

Éditeur scientifiqueForestier, Georges et Fournial, Céline

Nombre de pages5

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70169n

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/RacinePhedrePreface1677.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/RacinePhedrePreface1677.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/RacinePhedrePreface1677.odt

Mise à jour2016-04-12

Mots-clés

Mots-clés français

GenreTragédie

SourcesEuripide, Sénèque, Virgile, Plutarque

ActionVraisemblance de l’histoire / ornements de la fable

Personnage(s)Phèdre ; Hippolyte ; Aricie ; Thésée ; innocent / coupable ; terreur et pitié ; bienséances internes

RéceptionSuccès auprès du public antique et du public contemporain

FinalitéMorale ; instruction

Mots-clés italiens

GenereTragedia

FontiEuripide, Sénèque, Virgile, Plutarque

AzioneVerosimiglianza della storia / ornamenti della favola

Personaggio(i)Fedra ; Ippolito ; Aricia ; Teseo ; innocente / colpevole ; terrore e pietà ; decoro

RicezioneSuccesso presso il pubblico anticho e quello contemporaneo

FinalitàMorale ; istruzione

Mots-clés espagnols

GéneroTragedia

FuentesEurípides, Séneca, Virgilio, Plutarco

AcciónVerosimilitud de la historia / ornamentos de la fábula

Personaje(s)Fedra ; Hipólito ; Aricia ; Teseo ; inocente / culpable ; terror y piedad ; decoro interno

RecepciónÉxito con el público antiguo y el público contemporáneo

FinalidadMoral ; instrucción

Présentation

Présentation en français

Auréolé de gloire par la publication en 1675 et 1676 de ses Œuvres en deux volumes, dont le frontispice représente une allégorie de la tragédie entourée par deux personnages figurant la terreur et la pitié conformément à la définition du tragique par Aristote, Racine entend s’affirmer encore davantage qu’à l’occasion d’Iphigénie comme le véritable restaurateur de la tragédie grecque en réécrivant une autre pièce d’Euripide. Phèdre et Hippolyte1 prend résolument ses distances avec la tragédie galante, Racine refuse d’édulcorer son sujet, contrairement à certains de ses prédécesseurs2, au risque de heurter une partie de son public3. Sa préface expose ses choix esthétiques et fait de l’auteur l’authentique représentant du parti des Anciens. Le dramaturge présente les principaux caractères de sa pièce et justifie les modifications apportées à la tradition antique par son souci de rendre ses personnages conformes à la définition aristotélicienne du héros tragique. Le dernier paragraphe semble avoir été ajouté pour répondre aux critiques de la Dissertation sur les tragédies de Phèdre et Hippolyte, parue anonymement cinq jours avant la publication des Phèdre et Hippolyte concurrentes de Racine et de Pradon et où Racine est accusé d’avoir fait la part belle à Phèdre et à ses crimes. Dans une argumentation aux accents thomistes, Racine défend la moralité de sa pièce et du théâtre antique, véritable école de vertu, dont il a cherché à retrouver « l’intention véritable », condamnant au passage les Modernes qui ont perdu de vue le but originel de la tragédie ; sans les citer, il vise principalement Lully et Quinault ainsi que Pradon.

Texte

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Préface

{NP 1}Voici encore une tragédie dont le sujet est pris d’Euripide4. Quoique j’aie suivi une route un peu différente de celle de cet auteur pour la conduite de l’action5, je n’ai pas laissé d’enrichir ma pièce de tout ce qui m’a paru le plus éclatant dans la sienne. Quand je ne lui devrais que la seule idée du caractère6 de Phèdre, je pourrais dire que je lui dois ce que j’ai peut-être mis de plus raisonnable7 sur le théâtre. Je ne suis point étonné que ce caractère ait eu un succès si heureux du temps d’Euripide et qu’il ait encore si bien réussi dans notre siècle, puisqu’il a toutes les qualités qu’Aristote demande dans le héros de la tragédie et qui sont propres à exciter la compassion et la terreur. En effet Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente8. Elle est engagée par sa destinée et par la colère des dieux dans une passion illégitime dont elle a horreur toute la première. Elle fait tous ses {NP 2}efforts pour la surmonter. Elle aime mieux se laisser mourir que de la déclarer à personne. Et lorsqu’elle est forcée de la découvrir, elle en parle avec une confusion qui fait bien voir que son crime est plutôt une punition des dieux qu’un mouvement de sa volonté.

J’ai même pris soin de la rendre un peu moins odieuse qu’elle n’est dans les tragédies des anciens, où elle se résout d’elle-même à accuser Hippolyte. J’ai cru que la calomnie avait quelque chose de trop bas et de trop noir pour la mettre dans la bouche d’une princesse, qui a d’ailleurs des sentiments si nobles et si vertueux. Cette bassesse m’a paru plus convenable à une nourrice9, qui pouvait avoir des inclinations plus serviles et qui néanmoins n’entreprend cette fausse accusation que pour sauver la vie et l’honneur de sa maîtresse. Phèdre n’y donne les mains que parce qu’elle est dans une agitation d’esprit qui la met hors d’elle-même et elle vient un moment après dans le dessein de justifier l’innocence et de déclarer la vérité.

Hippolyte est accusé dans Euripide et dans Sénèque d’avoir en effet10 violé sa belle-mère. Vim corpus tulit11. Mais il n’est ici accusé que d’en avoir eu le dessein. J’ai voulu épargner à Thésée une confusion qui l’aurait pu rendre moins agréable aux spectateurs.

{NP 3}Pour ce qui est du personnage d’Hippolyte, j’avais remarqué dans les anciens qu’on reprochait à Euripide de l’avoir représenté comme un philosophe exempt de toute imperfection12, ce qui faisait que la mort de ce jeune prince causait beaucoup plus d’indignation que de pitié13. J’ai cru lui devoir donner quelque faiblesse qui le rendrait un peu coupable envers son père, sans pourtant lui rien ôter de cette grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre et se laisse opprimer sans l’accuser. J’appelle faiblesse la passion qu’il ressent malgré lui pour Aricie, qui est la fille et la sœur des ennemis mortels de son père14.

Cette Aricie n’est point un personnage de mon invention. Virgile dit qu’Hippolyte l’épousa et en eut un fils après qu’Esculape l’eut ressuscité15. Et j’ai lu encore dans quelques auteurs16 qu’Hippolyte avait épousé et emmené en Italie une jeune Athénienne de grande naissance, qui s’appelait Aricie et qui avait donné son nom à une petite ville d’Italie.

Je rapporte ces autorités parce que je me suis très scrupuleusement attaché à suivre la fable. J’ai même suivi l’histoire de Thésée telle qu’elle est dans Plutarque17.

C’est dans cet historien que j’ai trouvé que ce qui avait donné occasion de croire que Thé{NP 4}sée fût descendu dans les Enfers pour enlever Proserpine était un voyage que ce prince avait fait en Épire vers la source de l’Achéron, chez un roi dont Pirithoüs voulait enlever la femme18, et qui arrêta Thésée prisonnier après avoir fait mourir Pirithoüs. Ainsi, j’ai tâché de conserver la vraisemblance de l’histoire, sans rien perdre des ornements de la fable19 qui fournit extrêmement à la poésie. Et le bruit de la mort de Thésée fondé sur ce voyage fabuleux donne lieu à Phèdre de faire une déclaration d’amour, qui devient une des principales causes de son malheur et qu’elle n’aurait jamais osé faire tant qu’elle aurait cru que son mari était vivant.

Au reste, je n’ose encore assurer que cette pièce soit en effet la meilleure de mes tragédies. Je laisse et aux lecteurs et au temps à décider de son véritable prix. Ce que je puis assurer, c’est que je n’en ai point fait où la vertu soit plus mise en jour que dans celle-ci. Les moindres fautes y sont sévèrement punies. La seule pensée du crime y est regardée avec autant d’horreur que le crime même. Les faiblesses de l’amour y passent pour de vraies faiblesses. Les passions n’y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause. Et le vice y est peint partout avec des {NP 5}couleurs qui en font connaître et haïr la difformité20. C’est là proprement le but que tout homme qui travaille pour le public doit se proposer. Et c’est ce que les premiers poètes tragiques avaient en vue sur toute chose. Leur théâtre était une école où la vertu n’était pas moins bien enseignée que dans les écoles des philosophes. Aussi, Aristote a bien voulu donner des règles au poème dramatique et Socrate le plus sage des philosophes ne dédaignait pas de mettre la main aux tragédies d’Euripide. Il serait à souhaiter que nos ouvrages fussent aussi solides et aussi pleins d’utiles instructions que ceux de ces poètes. Ce serait peut-être un moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de personnes célèbres par leur piété et par leur doctrine qui l’ont condamnée dans ces derniers temps et qui en jugeraient sans doute plus favorablement21, si les auteurs songeaient autant à instruire leurs spectateurs qu’à les divertir et s’ils suivaient en cela la véritable intention de la tragédie.