IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Iphigénie

Racine, Jean

Éditeur scientifique : Forestier, Georges et Fournial, Céline

Description

Auteur du paratexteRacine, Jean

Auteur de la pièceRacine, Jean

Titre de la pièceIphigénie

Titre du paratextePréface

Genre du textePréface

Genre de la pièceTragédie

Date1675

LangueFrançais

ÉditionParis : Claude Barbin, 1675, in-12

Éditeur scientifiqueForestier, Georges et Fournial, Céline

Nombre de pages8

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70413v

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/RacineIphigeniePreface.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/RacineIphigeniePreface.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/RacineIphigeniePreface.odt

Mise à jour2016-03-24

Mots-clés

Mots-clés français

GenreTragédie

SourcesEuripide ; Pausanias ; Parthénios de Nicée ; combinaison de sources

SujetCélèbre

ActionInvraisemblance du deus ex machina

Personnage(s)Iphigénie / Ériphile ; mort d’un personnage vertueux / coupable ; Ériphile coupable et digne de pitié ; Achille

RéceptionSuccès ; larmes du public ; raison et goût du public antique semblables à ceux du public moderne

FinalitéTerreur et pitié

AutreDéfense de l’Alceste d’Euripide ; Anciens / Modernes

Mots-clés italiens

GenereTragedia

FontiEuripide ; Pausania ; Partenio de Nicea ; intreccio delle fonti

ArgomentoFamoso

AzioneInverosomiglianza del deus ex machina

Personaggio(i)Ifigenia / Erifile ; morte di un personaggio virtuoso / colpevole ; Erifile colpevole e degna di pietà ; Achille

RicezioneSuccesso ; lacrime del pubblico ; ragione e gusto del pubblico antico simili a quelli del pubblico moderno

FinalitàTerrore e pietà

AltriDifesa dell’Alcesti di Euripide ; Antichi / Moderni

Mots-clés espagnols

GéneroTragedia

FuentesEurípides ; Pausanias ; Partenio de Nicea ; combinacións de fuentes

TemaFamoso

AcciónInverosimilitud del deus ex machina

Personaje(s)Ifigenia / Erífile ; muerte de un personaje virtuoso / culpable ; Erífile culpable y digna de piedad ; Aquiles

RecepciónÉxito ; lágrimas del público ; razón gusto del público antiguo similares a los del público moderno

FinalidadTerror y piedad

OtrasDefensa delAlcestis de Eurípides ; Antiguos / Modernos

Présentation

Présentation en français

Après s’être imposé comme auteur de tragédies historiques, Racine revient à la légende grecque en réécrivant l’Iphigénie à Aulis d’Euripide. Ce choix n’est pas étranger à la récente adaptation pour l’opéra d’une autre tragédie d’Euripide, Alceste, par Lully et Quinault. Le genre de la tragédie lyrique connaît alors des succès qui semblent menacer la tragédie parlée1, et ses chœurs, ses machines, ses sujets mythologiques tendent à en faire le véritable héritier moderne de la tragédie grecque. Dans la préface de son Iphigénie, Racine propose donc une défense de la tragédie parlée mais saisit aussi l’occasion de répliquer à la Critique de l’opéra publiée anonymement par Charles Perrault. Ce dialogue attaque en plusieurs points l’Alceste d’Euripide pour mieux célébrer l’opéra de Quinault et en déduire la supériorité des Modernes sur les Anciens2. Multipliant les citations et les références érudites, Racine se place ostensiblement du côté des Anciens. Il affirme sa fidélité à Euripide et justifie les modifications majeures qu’il a apportées à la pièce antique ̶ le dénouement et l’invention du personnage d’Ériphile ̶ en s’autorisant des variantes de la légende mais aussi des préceptes poétiques aristotéliciens. Ses justifications sont par ailleurs une manière discrète d’attaquer l’opéra. En soulignant l’invraisemblance des « machines » et des interventions divines, le dramaturge critique des procédés typiques de la tragédie lyrique avant de se féliciter d’avoir suscité chez le spectateur moderne les mêmes émotions tragiques qu’Euripide en son temps, ce qui est une manière de faire de la tragédie parlée la seule et véritable héritière de la tragédie antique. Sous prétexte de défendre son modèle, Racine en vient ensuite à une attaque frontale de la Critique de l’opéra : il part d’un contresens de Perrault sur le texte d’Euripide pour en conclure sur un ton supérieur et persifleur que si les Modernes critiquent Euripide c’est tout simplement qu’ils n’ont pas été capables de le comprendre.

Texte

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Préface

{NP 1}Il n’y a rien de plus célèbre dans les poètes que le sacrifice d’Iphigénie. Mais ils ne s’accordent pas tous ensemble sur les plus importantes particularités de ce sacrifice. Les uns, comme Eschyle dans Agamemnon, Sophocle dans Electra, et après eux Lucrèce, Horace3 et beaucoup d’autres, veulent qu’on ait en effet répandu le sang d’Iphigénie fille d’Agamemnon et qu’elle soit morte en Aulide4. Il ne faut que lire Lucrèce au commencement de son premier livre,

Aulide quo pacto Triviai Virginis aram
Iphianassai turparunt sanguine fœde
Ductores Danaum etc.5

Et Clytemnestre dit dans Eschyle qu’Agamemnon son mari qui vient d’expirer rencontrera dans les Enfers Iphigénie sa fille qu’il a autrefois immolée6.

D’autres ont feint que Diane, ayant eu pitié de cette jeune princesse, l’avait enlevée et portée dans la Tauride, au moment qu’on l’al{NP 2}lait sacrifier, et que la déesse avait fait trouver en sa place ou une biche, ou une autre victime de cette nature. Euripide a suivi cette fable et Ovide l’a mise au nombre des Métamorphoses7.

Il y a une troisième opinion, qui n’est pas moins ancienne que les deux autres, sur Iphigénie. Plusieurs auteurs, et entre autres Stesichorus8, l’un des plus fameux et des plus anciens poètes lyriques, ont écrit qu’il était bien vrai qu’une princesse de ce nom avait été sacrifiée, mais que cette Iphigénie était une fille qu’Hélène avait eue de Thésée. Hélène, disent ces auteurs, ne l’avait osé avouer pour sa fille, parce qu’elle n’osait déclarer à Ménélas qu’elle eût été mariée en secret avec Thésée. Pausanias9 rapporte et le témoignage et les noms des poètes qui ont été de ce sentiment. Et il ajoute que c’était la créance commune de tout le pays d’Argos.

Homère enfin, le père des poètes, a si peu prétendu qu’Iphigénie fille d’Agamemnon eût été ou sacrifiée en Aulide, ou transportée dans la Scythie, que dans le neuvième livre de l’Iliade, c’est-à-dire près de dix ans depuis l’arrivée des Grecs devant Troie, Agamemnon fait offrir en mariage à Achille sa fille Iphigénie, qu’il a, dit-il, laissée à Mycènes dans sa maison10.

{NP 3}J’ai rapporté tous ces avis si différents, et surtout le passage de Pausanias, parce que c’est à cet auteur que je dois l’heureux personnage d’Ériphile11, sans lequel je n’aurais jamais osé entreprendre cette tragédie. Quelle apparence que j’eusse souillé la scène par le meurtre horrible d’une personne aussi vertueuse et aussi aimable qu’il fallait représenter Iphigénie ? Et quelle apparence encore de dénouer ma tragédie par le secours d’une déesse et d’une machine et par une métamorphose12 qui pouvait bien trouver quelque créance du temps d’Euripide, mais qui serait trop absurde et trop incroyable parmi nous ?

Je puis dire donc que j’ai été très heureux de trouver dans les anciens cette autre Iphigénie, que j’ai pu représenter telle qu’il m’a plu et qui, tombant dans le malheur où cette amante jalouse voulait précipiter sa rivale, mérite en quelque façon d’être punie, sans être pourtant tout à fait indigne de compassion13. Ainsi le dénouement de la pièce est tiré du fond même de la pièce14. Et il ne faut que l’avoir vu représenter pour comprendre quel plaisir j’ai fait au spectateur, et en sauvant à la fin une princesse vertueuse pour qui il s’est si fort intéressé dans tout le cours de la tragédie et en la sauvant par une autre voie que par un miracle, qu’il n’aurait pu souffrir, parce qu’il ne le saurait jamais croire15.

{NP 4}Le voyage d’Achille à Lesbos, dont ce héros se rend maître et d’où il enlève Ériphile avant que de venir en Aulide, n’est pas non plus sans fondement. Euphorion de Chalcide, poète très connu parmi les anciens et dont Virgile16 et Quintilien font une mention honorable, parlait de ce voyage de Lesbos. Il disait dans un de ses poèmes, au rapport de Parthenius17, qu’Achille avait fait la conquête de cette île avant que de joindre l’armée des Grecs et qu’il y avait même trouvé une princesse qui s’était éprise d’amour pour lui.

Voilà les principales choses en quoi je me suis un peu éloigné de l’économie et de la fable18 d’Euripide. Pour ce qui regarde les passions, je me suis attaché à le suivre plus exactement. J’avoue que je lui dois un bon nombre des endroits qui ont été les plus approuvés dans ma tragédie. Et je l’avoue d’autant plus volontiers que ces approbations m’ont confirmé dans l’estime et dans la vénération que j’ai toujours eues pour les ouvrages qui nous restent de l’Antiquité. J’ai reconnu avec plaisir par l’effet qu’a produit sur notre théâtre tout ce que j’ai imité ou d’Homère ou d’Euripide que le bon sens et la raison étaient les mêmes dans tous les siècles. Le goût de Paris s’est trouvé conforme à celui d’Athènes. Mes spectateurs ont été émus des mêmes choses qui ont mis autrefois {NP 5} en larmes le plus savant peuple de la Grèce et qui ont fait dire qu’entre les poètes Euripide était extrêmement tragique, τραγικώτατος19, c’est-à-dire qu’il savait merveilleusement exciter la compassion et la terreur, qui sont les véritables effets de la tragédie.

Je m’étonne après cela que des modernes aient témoigné depuis peu tant de dégoût pour ce grand poète dans le jugement qu’ils ont fait de son Alceste20. Il ne s’agit point ici de l’Alceste. Mais en vérité j’ai trop d’obligation à Euripide pour ne pas prendre quelque soin de sa mémoire et pour laisser échapper l’occasion de le réconcilier avec ces Messieurs. Je m’assure qu’il n’est si mal dans leur esprit que parce qu’ils n’ont pas bien lu l’ouvrage sur lequel il l’ont condamné. J’ai choisi la plus importante de leurs objections pour leur montrer que j’ai raison de parler ainsi. Je dis la plus importante de leurs objections car ils la répètent à chaque page et ils ne soupçonnent pas seulement que l’on y puisse répliquer.

Il y a dans l’Alceste d’Euripide une scène merveilleuse où Alceste qui se meurt et qui ne peut plus se soutenir dit à son mari les derniers adieux. Admète tout en larmes la prie de reprendre ses forces et de ne se point abandonner elle-même. Alceste, qui a l’image de la mort devant les yeux, lui parle ainsi

{NP 6}Je vois déjà la rame et la barque fatale.
J’entends le vieux nocher sur la rive infernale.
Impatient il crie : On t’attend ici-bas
Tout est prêt, descends, viens, ne me retarde pas.21

J’aurais souhaité de pouvoir exprimer dans ces vers les grâces qu’ils ont dans l’original. Mais au moins en voilà le sens. Voici comme ces Messieurs les ont entendus. Il leur est tombé entre les mains une malheureuse édition d’Euripide, où l’imprimeur a oublié de mettre dans le latin, à côté de ces vers un Al. qui signifie que c’est Alceste qui parle, et à côté des vers suivants un Ad. qui signifie que c’est Admète qui répond. Là-dessus il leur est venu dans l’esprit la plus étrange pensée du monde. Ils ont mis dans la bouche d’Admète les paroles qu’Alceste dit à Admète et celles qu’elle se fait dire par Charon. Ainsi ils supposent qu’Admète (quoiqu’il soit en parfaite santé) pense voir déjà Charon qui le vient prendre22. Et au lieu que dans ce passage d’Euripide Charon impatient presse Alceste de le venir trouver, selon ces Messieurs c’est Admète effrayé qui est l’impatient et qui presse Alceste d’expirer de peur que Charon ne le prenne. Il l’exhorte, ce sont leurs termes, à avoir courage, à ne pas faire une lâcheté et à mourir de bonne grâce, il interrompt les adieux d’Alceste pour {NP 7} lui dire de se dépêcher de mourir. Peu s’en faut, à les entendre, qu’il ne la fasse mourir lui-même. Ce sentiment leur a paru fort vilain23. Et ils ont raison. Il n’y a personne qui n’en fût très scandalisé. Mais comment l’ont-ils pu attribuer à Euripide ? En vérité, quand toutes les autres éditions où cet Al. n’a point été oublié ne donneraient pas un démenti au malheureux imprimeur qui les a trompés, la suite de ces quatre vers et tous les discours qu’Admète tient dans la même scène étaient plus que suffisants pour les empêcher de tomber dans une erreur si déraisonnable. Car Admète, bien éloigné de presser Alceste de mourir, s’écrie que toutes les morts ensemble lui seraient moins cruelles que de la voir en état où il la voit. Il la conjure de l’entraîner avec elle. Il ne peut plus vivre si elle meurt. Il vit en elle. Il ne respire que pour elle.24

Ils ne sont pas plus heureux dans les autres objections. Ils disent, par exemple, qu’Euripide a fait deux époux surannés25 d’Admète et d’Alceste, que l’un est un vieux mari26 et l’autre une princesse déjà sur l’âge27. Euripide a pris soin de leur répondre en un seul vers, où il fait dire par le Chœur qu’Alceste toute jeune et dans la première fleur de son âge expire pour son jeune époux.28

Ils reprochent encore à Alceste qu’elle a deux grands enfants à marier29. Comment n’ont-ils point lu le contraire en cent endroits et sur{NP 8}tout dans ce beau récit, où l’on dépeint « Alceste mourante au milieu de ses deux petits enfants qui la tirent en pleurant par la robe et qu’elle prend sur ses bras l’un après l’autre pour les baiser » ?30

Tout le reste de leurs critiques est à peu près de la force de celles-ci. Mais je crois qu’en voilà assez pour la défense de mon auteur. Je conseille à ces Messieurs de ne plus décider si légèrement sur les ouvrages des anciens. Un homme tel qu’Euripide méritait au moins qu’ils l’examinassent puisqu’ils avaient envie de le condamner. Ils devaient se souvenir de ces sages paroles de Quintilien : « Il faut être extrêmement circonspect et très retenu à prononcer sur les ouvrages de ces grands hommes, de peur qu’il ne nous arrive, comme à plusieurs, de condamner ce que nous n’entendons pas. Et s’il faut tomber dans quelque excès, encore vaut-il mieux pécher en admirant tout dans leurs écrits qu’en y condamnant beaucoup de choses ». Modeste tamen et circumspecto judicio de tantis viris pronuntiandum est, ne (quod plerique accidit) damnent quæ non intelligunt. Ac si necesse est in alteram errare partem, omnia eorum legentibus placere, quam multa displicere maluerim31.