IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Britannicus

Racine, Jean

Éditeur scientifique : Forestier, Georges et Garnier, Sylvain

Description

Auteur du paratexteRacine, Jean

Auteur de la pièceRacine, Jean

Titre de la pièceBritannicus

Titre du paratextePréface

Genre du textePréface

Genre de la pièceTragédie

Date1675

LangueFrançais

ÉditionŒuvres de Racine, Tome Premier, Paris : Claude Barbin, 1675, in-12°

Éditeur scientifiqueForestier, Georges et Garnier, Sylvain

Nombre de pages5

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9905809/f243.image.r=oeuvres%20de%20racine.langFR

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/RacineBritannicusPreface1675.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/RacineBritannicusPreface1675.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/RacineBritannicusPreface1675.odt

Mise à jour2016-04-12

Mots-clés

Mots-clés français

GenreTragédie

SourcesTacite

Personnage(s)Qualités du jeune homme

RéceptionCour ; public ; connaisseurs

Mots-clés italiens

GenereTragedia

FontiTacito

Personaggio(i)Qualità del ragazzo

RicezioneCorte ; pubblico ; intenditori

Mots-clés espagnols

GéneroTragedia

FuentesTácito

Personaje(s)Cualidades del joven personaje

RecepciónCorte ; público ; aficionados

Présentation

Présentation en français

Rédigée six ans après la création de Britannicus, qui fut marquée par une forte querelle entre Racine et Corneille – querelle dont témoignait la première préface de la pièce parue en 1670 –, cette nouvelle préface de la première tragédie romaine de Racine, publiée dans l’édition des Œuvres du dramaturge en 1675, se distingue par l’abandon de toute posture polémique. Désormais reconnu comme un dramaturge de premier plan, Racine ne ressent probablement plus le besoin de défendre son art contre les critiques dont il avait pu être victime. Et, de fait, cette seconde préface perd quelque peu de son intérêt théorique par rapport à la première : elle ne fait en effet que présenter les différents personnages de la pièce en faisant un centon de citations de Tacite – la source historique utilisée par Racine – et un rapiéçage de quelques passages de la préface de 1670.

Ainsi, après avoir rappelé l’accueil polémique de Britannicus lors de sa création, Racine constate le consensus favorable qui s’est désormais établi autour de cette pièce. Le dramaturge rend ensuite hommage à Tacite, sa source historique, et se contente de passer en revue les différents personnages de sa pièce – Néron, Narcisse, Burrhus, Agrippine, Britannicus et Junie – en justifiant leur caractère à l’aide d’extraits de l’historien romain ou de développements empruntés à sa première préface sur quelques points problématiques : le statut particulier de Néron, qui n’est ici qu’un « monstre naissant », celui de Britannicus, qui suit la typologie du « jeune homme », et, enfin, l’entrée de Junie dans l’ordre des Vestales en dépit de son âge.

Texte

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Préface

{221} Voici celle de mes tragédies que je puis dire que j’ai le plus travaillée. Cependant j’avoue que le succès ne répondit pas d’abord à mes espérances. À peine elle parut sur le théâtre qu’il s’éleva quantité de critiques qui semblaient la devoir détruire. Je crus moi-même que sa destinée serait à l’avenir moins heureuse que celle de mes autres tragédies. Mais enfin il est arrivé de cette pièce ce qui arrivera toujours des ouvrages qui auront quelque bonté. Les critiques se sont évanouies. La pièce est demeurée. C’est maintenant celle des miennes que la cour et le public revoient le plus volontiers. Et si j’ai fait quelque chose de solide et qui mérite quelque louange, la plupart des connaisseurs demeurent d’accord que c’est ce même Britannicus.

À la vérité j’avais travaillé sur des modèles qui m’avaient extrêmement soutenu dans la peinture que je voulais faire de la cour d’Agrippine et de Néron. J’avais copié mes personnages d’après le plus grand peintre de l’Antiquité, je veux dire d’après Tacite. Et j’étais {222} alors si rempli de la lecture de cet excellent historien, qu’il n’y a presque pas un trait éclatant dans ma tragédie dont il ne m’ait donné l’idée. J’avais voulu mettre dans ce recueil un extrait des plus beaux endroits que j’ai tâché d’imiter. Mais j’ai trouvé que cet extrait tiendrait presque autant de place que la tragédie. Ainsi le lecteur trouvera bon que je le renvoie à cet auteur, qui aussi bien est entre les mains de tout le monde. Et je me contenterai de rapporter ici quelques-uns de ses passages sur chacun des personnages que j’introduis sur la scène.

Pour commencer par Néron, il faut se souvenir qu’il est ici dans les premières années de son règne, qui ont été heureuses comme l’on sait. Ainsi il ne m’a pas été permis de le représenter aussi méchant qu’il l’a été depuis1. Je ne le représente pas non plus comme un homme vertueux : car il ne l’a jamais été. Il n’a pas encore tué sa mère, sa femme, ses gouverneurs : mais il a en lui les semences de tous ces crimes. Il commence à vouloir secouer le joug. Il les hait les uns et les autres, et il leur cache sa haine sous de fausses caresses, Factus natura velare odium fallacibus blanditiis2. En un mot c’est ici un monstre naissant3, mais qui n’ose encore se déclarer, et qui cherche des couleurs4 à ses méchantes actions, Hactenus Nero flagittis et sceleribus velamenta {223} quaesivit5. Il ne pouvait souffrir Octavie, « princesse d’une bonté et d’une vertu exemplaires », fato quodam, an quia praevalent illicita. Metuebaturque ne in stupra fæminarum illustrium prorumperet6.

Je lui donne Narcisse pour confident. J’ai suivi en cela Tacite qui dit que « Néron porta impatiemment la mort de Narcisse, parce que cet affranchi avait une conformité merveilleuse avec les vices du prince encore cachés », Cujus abditis adhuc vitiis mire congruebat7. Ce passage prouve deux choses. Il prouve et que Néron était déjà vicieux, mais qu’il dissimulait ses vices, et que Narcisse l’entretenait dans ses mauvaises inclinations.

J’ai choisi Burrhus pour opposer un honnête homme à cette peste de cour. Et je l’ai choisi plutôt que Sénèque. En voici la raison. « Ils étaient tous deux gouverneurs de la jeunesse de Néron, l’un pour les armes, l’autre pour les lettres. Et ils étaient fameux, Burrhus pour son expérience dans les armes et pour la sévérité de ses mœurs, militaribus curis et severitate morum8, Sénèque pour son éloquence et le tour agréable de son esprit, Seneca praeceptis eloquentiae et comitate honesta9. Burrhus après sa mort fut extrêmement regretté à cause de sa vertu », Civitati grande desiderium ejus mansit per memoriam virtutis10.

{224} Toute leur peine était de résister à l’orgueil et à la férocité d’Agrippine, quae cunctis malae dominationis cupidinibus flagrans, habebat in partibus Pallantem11. Je ne dis que ce mot d’Agrippine : car il y aurait trop de choses à en dire. C’est elle que je me suis surtout efforcé de bien exprimer, et ma tragédie n’est pas moins la disgrâce d’Agrippine que la mort de Britannicus12. « Cette mort fut un coup de foudre pour elle, et il parut (dit Tacite) par sa frayeur et par sa consternation qu’elle était aussi innocente de cette mort qu’Octavie13. Agrippine perdait en lui sa dernière espérance, et ce crime lui en faisait craindre un plus grand. » Sibi supremum auxilium ereptum, et parricidii exemplum intelligebat14.

L’âge de Britannicus était si connu, qu’il ne m’a pas été permis de le représenter autrement que comme un jeune prince15 qui avait beaucoup de cœur, beaucoup d’amour, et beaucoup de franchise, qualités ordinaires d’un jeune homme16. « Il avait quinze ans, et on dit qu’il avait beaucoup d’esprit, soit qu’on dise vrai, ou que ses malheurs aient fait croire cela de lui sans qu’il ait pu en donner des marques. » Neque segnem ei fuisse indolem ferunt, sive verum, seu periculis commendatus retinuit famam sine experimento17.

Il ne faut pas s’étonner s’il n’a auprès de lui {225} qu’un aussi méchant homme que Narcisse. « Car il y avait longtemps qu’on avait donné ordre qu’il n’y eût auprès de Britannicus, que des gens qui n’eussent ni foi ni honneur. » Nam ut proximus quisque Britannico neque fas neque fidem pensi haberet, olim provisum erat18.

Il me reste à parler de Junie. Il ne la faut pas confondre avec une vieille coquette qui s’appelait Junia Silana. C’est ici une autre Junie que Tacite appelle Junia Calvina, de la famille d’Auguste, sœur de Silanus à qui Claudius avait promis Octavie. Cette Junie était jeune, belle, et comme dit Sénèque, festivissima omnium puellarum19. « Son frère et elle s’aimaient tendrement, et leurs ennemis (dit Tacite) les accusèrent tous deux d’inceste, quoiqu’ils ne fussent coupables que d’un peu d’indiscrétion20. » Elle vécut jusqu’au règne de Vespasien21.

Je la fais entrer dans les Vestales, quoique selon Aulu-Gelle22 on n’y reçût jamais personne au-dessous de six ans ni au-dessus de dix. Mais le peuple prend ici Junie sous sa protection. Et j’ai cru qu’en considération de sa naissance, de sa vertu, et de son malheur, il pouvait la dispenser de l’âge prescrit par les lois, comme il a dispensé de l’âge pour le consulat tant de grands hommes qui avaient mérité ce privilège23.