IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Les Plaideurs

Racine, Jean

Éditeur scientifique : Forestier, Georges et Fournial, Céline

Description

Auteur du paratexteRacine, Jean

Auteur de la pièceRacine, Jean

Titre de la pièceLes Plaideurs

Titre du paratexteAu lecteur

Genre du textePréface

Genre de la pièceComédie

Date1669

LangueFrançais

ÉditionParis : Claude Barbin, 1669, in-12

Éditeur scientifiqueForestier, Georges et Fournial, Céline

Nombre de pages4

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k701689

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Racine-Plaideurs-Preface.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/Racine-Plaideurs-Preface.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Racine-Plaideurs-Preface.odt

Mise à jour2014-08-30

Mots-clés

Mots-clés français

GenreComédie

SourcesLes Guêpes d’Aristophane

Personnage(s)Le juge extravagant ; caractères outrés

ComédiensComédiens italiens ; Scaramouche

ReprésentationParis / Versailles

RéceptionSuccès ; doctes / mondains / roi

FinalitéDivertir ; faire rire

ExpressionBons mots ; grâce ; sel attique

AutreMénandre et Térence / Aristophane et Plaute

Mots-clés italiens

GenereCommedia

FontiLe Vespe d’Aristofane

Personaggio(i)Il giudice stravagante ; caratteri esagerati

AttoriComici italiani ; Scaramuccia

RappresentazioneParigi / Versailles

RicezioneSuccesso ; dotti / mondani / re

FinalitàDivertire ; far ridere

EspressioneMotti ; grazia ; sale attico

AltriMenandro e Terenzio / Aristofane e Plauto

Mots-clés espagnols

GéneroComedia

FuentesLas avispas de Aristófanes

Personaje(s)El juez extravagante ; caracteres exagerados

Actor(es)Actores italianos

RepresentaciónParís / Versalles

RecepciónÉxito ; doctos / mundanos / rey

FinalidadDivertir ; hacer reir

ExpresiónChistes ; gracia ; sal ática

OtrasMenandro y Terencio / Aristófanes y Plauto

Présentation

Présentation en français

Créée un an après Andromaque, dont le succès considérable assura la consécration de Racine, la comédie des Plaideurs permet au jeune dramaturge de montrer la plasticité de son talent dramatique et de répondre ainsi à La Folle Querelle ou la Critique d’Andromaque du gazetier Subligny qui l’accusait d’avoir la vaine prétention de supplanter Corneille. L’unique comédie de Racine est précédée d’un avis « Au lecteur » qui fournit des renseignements sur la genèse et la réception de la pièce. Cette genèse est en partie reconstruite par Racine qui cherche à montrer qu’il n’a pas été influencé par quelque succès théâtral contemporain1. Le dramaturge affirme que c’est la lecture des Guêpes d’Aristophane qui a fait naître chez lui le dessein d’en récrire certains passages pour les comédiens italiens de Paris, avant que le départ du célèbre Scaramouche ne le conduise à adapter son projet à la scène française : il compose alors en peu de temps cette petite comédie. Celle-ci ne manque pourtant pas d’être passée au crible des règles par les doctes et suscite le mépris de quelques mondains rebutés par « les matières de palais », mais les critiques sont vite étouffées par le succès de la représentation à Versailles. Racine affirme ensuite qu’il a traduit Aristophane – alors qu’il a en réalité librement adapté Les Guêpes –, ce qui lui permet de défendre subtilement sa pièce : l’éloge de la pièce grecque devient ainsi un éloge déguisé des Plaideurs. Justifiant le choix d’Aristophane de mettre en scène des caractères outrés et des situations invraisemblables, il entend restituer au public français l’esthétique comique appréciée des hommes les plus fins de l’Antiquité. Enfin, Racine se félicite d’avoir obtenu un franc succès auprès du public parisien en composant une pièce qui rompt avec les tendances de la comédie contemporaine.

Texte

Afficher les occurrences dans les notes

Au lecteur

[NP1] Quand je lus Les Guêpes d’Aristophane, je ne songeais guère que j’en dusse faire Les Plaideurs. J’avoue qu’elles me divertirent beaucoup, et que j’y trouvai quantité de plaisanteries qui me tentèrent d’en faire part au public : mais c’était en les mettant dans la bouche des Italiens2, à qui je les avais destinées comme une chose qui leur appartenait de plein droit. Le juge qui saute par les fenêtres, le chien criminel et les larmes de sa famille me semblaient autant d’incidents dignes de la gravité de Scaramouche3. Le départ de cet acteur interrompit mon dessein4 et fit naître l’envie à quelques-uns de mes amis de voir sur notre théâtre5 quelque échantillon d’Aristophane. Je ne me rendis pas à la première proposition qu’ils m’en firent. Je leur dis que, quelque esprit que je trouvasse dans cet auteur, mon [NP2] inclination ne me porterait pas à le prendre pour modèle, si j’avais à faire une comédie, et que la régularité de Ménandre et de Térence me semblait bien plus glorieuse, et même plus agréable à imiter, que la liberté de Plaute et d’Aristophane6. On me répondit que ce n’était pas une comédie qu’on me demandait, et qu’on voulait seulement voir si les bons mots d’Aristophane auraient quelque grâce dans notre langue. Ainsi moitié en m’encourageant, moitié en mettant eux-mêmes la main à l’œuvre7, mes amis me firent commencer une pièce qui ne tarda guère à être achevée.

Cependant la plupart du monde ne se soucie point de l’intention ni de la diligence8 des auteurs. On examina d’abord mon amusement, comme on aurait fait une tragédie9. Ceux mêmes qui s’y étaient le plus divertis eurent peur de n’avoir pas ri dans les règles et trouvèrent mauvais que je n’eusse pas songé plus sérieusement à les faire rire10. Quelques autres s’imaginèrent qu’il était bienséant à eux de s’y ennuyer et que les matières de Palais ne pouvaient pas être un sujet de divertissement pour les gens de Cour. La pièce fut bientôt après jouée à Versailles11. On ne [NP3] fit point de scrupule de s’y réjouir ; et ceux qui avaient cru se déshonorer de rire à Paris furent peut-être obligés de rire à Versailles, pour se faire honneur.

Ils auraient tort à la vérité s’ils me reprochaient d’avoir fatigué leurs oreilles de trop de chicane12, c’est une langue qui m’est plus étrangère qu’à personne ; et je n’en ai employé que quelques mots barbares, que je puis avoir retenus dans le cours d’un procès, que ni moi, ni mes juges, n’ont jamais bien entendu13.

Si j’appréhende quelque chose, c’est que des personnes un peu sérieuses ne traitent de badineries le procès du chien et les extravagances du juge : mais enfin je traduis Aristophane14, et l’on doit se souvenir qu’il avait affaire à des spectateurs assez difficiles. Les Athéniens savaient apparemment ce que c’était que le sel attique15, et ils étaient bien sûrs quand ils avaient ri d’une chose qu’ils n’avaient pas ri d’une sottise.

Pour moi je trouve qu’Aristophane a eu raison de pousser les choses au-delà du vraisemblable. Les juges de l’Aréopage n’auraient pas peut-être trouvé bon qu’il eût marqué au naturel leur avidité de gagner, les [NP4] bons tours de leurs secrétaires et les forfanteries de leurs avocats. Il était à propos d’outrer un peu les personnages pour les empêcher de se reconnaître. Le public ne laissait pas de discerner le vrai au travers du ridicule ; et je m’assure qu’il vaut mieux avoir occupé l’impertinente éloquence de deux orateurs autour d’un chien accusé que si l’on avait mis sur la sellette un véritable criminel et qu’on eût intéressé les spectateurs à la vie d’un homme.

Quoi qu’il en soit, je puis dire que notre siècle n’a pas été de plus mauvaise humeur que le sien, et que si le but de ma comédie était de faire rire, jamais comédie n’a mieux attrapé son but. Ce n’est pas que j’attende un grand honneur d’avoir assez longtemps réjoui le monde. Mais je me sais quelque gré de l’avoir fait sans qu’il m’en ait coûté un seul de ces sales équivoques16, et de ces malhonnêtes plaisanteries, qui coûtent maintenant si peu à la plupart de nos écrivains et qui font retomber le théâtre dans la turpitude d’où quelques auteurs plus modestes17 l’avaient tiré18.