IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Les Bergeries

Racan, Honorat de Bueil de

Éditeur scientifique : Garnier, Sylvain

Description

Auteur du paratexteRacan, Honorat de Bueil de

Auteur de la pièceRacan, Honorat de Bueil de

Titre de la pièceLes Bergeries

Titre du paratexteLettre de Monsieur de Racan, à Monsieur de Malherbe, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi

Genre du textePréface

Genre de la piècePastorale

Date1625

LangueFrançais

ÉditionParis, Toussainct du Bray, 1625, in-8°.

Éditeur scientifiqueGarnier, Sylvain

Nombre de pages6

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70310j

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Racan-Bergerie-Preface.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/Racan-Bergerie-Preface.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Racan-Bergerie-Preface.odt

Mise à jour2015-06-08

Mots-clés

Mots-clés français

SujetAmours du poète

Personnage(s)Héroïne identifiée à la femme aimée

RéceptionReprésentation / lecture ; cour / pédants

ExpressionPoésie lyrique / poésie dramatique ; règles malherbiennes

Mots-clés italiens

ArgomentoAmori del poeta

Personaggio(i)Eroina confusa colla donna amata

RicezioneRappresentazione / lettura ; corte / pedanti

EspressionePoesia lirica / poesia drammatica ; regole di Malherbe

Mots-clés espagnols

TemaAmores del poeta

Personaje(s)Heroína identificada con la mujer amada

RecepciónRepresentación / lectura ; corte / pedantes

ExpresiónPoesia lírica / poesia dramática ; Reglas de Malherbe

Présentation

Présentation en français

Dans ce texte, qui constitue la principale contribution malherbienne aux querelles qui accompagnèrent la publication du théâtre d’Alexandre Hardy entre 1624 et 1628, Racan, tout en justifiant l’écriture de ses Bergeries auprès de son mentor en matière de poésie, témoigne de sa position dans le débat poétique et dramatique portant sur la nature et la place de l’élocution au théâtre : adoption de l’esthétique malherbienne plutôt que ronsardienne et primauté accordée à l’élocution sur la disposition. À l’occasion d’un exposé de ses hésitations à publier sa pièce, l’auteur des Bergeries va ainsi réaffirmer son appartenance au camps des partisans de Malherbe, bien installés à la cour, et dénigrer les tenants de l’ancienne poésie qui restent en faveur dans le milieu des collèges. Racan explique les entorses qu’il a dû faire subir aux règles malherbiennes, fait part de sa difficulté à écrire une pièce de si longue étendue et raconte les aléas de la composition de celle-ci, trois développements qui mettent en lumière l’ambiguïté relative de ses idées sur la question de la distinction ou au contraire de la confusion des poésies lyrique et dramatique. En effet, s’il distingue les deux modes de réception que sont la représentation et la lecture, il regrette également l’impossibilité de pouvoir soigner autant l’élocution des poèmes dramatiques que celle des poèmes lyriques et fait preuve d’une grande nonchalance envers la disposition, censée constituer le cœur de la poésie dramatique. Enfin, le traitement de l’invention qu’il assure avoir appliqué à sa pièce semble davantage se rapprocher de l’inspiration de la poésie de cour que d’une réflexion proprement dramatique. Pour finir, Racan adopte une posture de moraliste pour évoquer le mépris dont souffriraient les poètes. Manifestant ouvertement un rejet complet des positions aussi bien éthiques qu’esthétiques d’Alexandre Hardy, ce texte suscitera une critique en règle de la part de l’« Auteur du Théâtre » qui le reprendra point par point dans la préface de Corine en 1626.

Texte

Afficher les occurrences dans les notes

Lettre de Monsieur de Racan, à Monsieur de Malherbe, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi1    

Monsieur,

[NP1] Je vous envoie ma Pastourelle2, non pas tant pour l’estime que j’en fais, que pour celle que je fais de vous. Je sais bien que votre jugement est si généralement approuvé, que c’est renoncer au sens commun que d’avoir des opinions contraires aux vôtres : c’est pourquoi je suis d’avis que vous la considériez un peu plus exactement, et que vous sachiez les raisons [NP2] qui m’ont jusques ici obligé à lui faire garder la chambre. Auparavant que vous me condamniez de la donner au public, vous me mandez qu’il en court tant de copies mal correctes, qu’il est à propos que je me justifie des fautes que les mauvais écrivains ont ajoutées aux miennes ; en effet j’avoue que c’est bien assez d’être responsable de mes péchés sans porter la peine de ceux d’autrui ; mais aussi en l’état où elle est, je ne serai repris que des belles bouches de la cour, de qui les injures mêmes me sont des faveurs, au lieu que si je suivais votre conseil, je m’abandonnerais à la censure de tous les pédants du pays latin3, dont je ne puis pas seulement souffrir les louanges. Vous savez qu’il est malaisé que cette sorte de vers qui ne sont animés que par la représentation de plusieurs acteurs puissent réussir à n’être lus que d’une seule personne. D’où vient que ce qui semblera excellent sur un théâtre sera trouvé ridicule en un cabinet4. [NP3] Outre qu’il est impossible que les grandes pièces puissent être polies comme une ode, ou comme une chanson5. Et s’il y a aucune6 raison qui me dispense des règles que vous m’avez prescrites7, ce doit être la multitude des vers qui sont en cet ouvrage. Il est plus facile de tenir cent hommes en leur devoir que dix mille, et n’est pas si dangereux de naviguer sur une rivière que sur l’océan. Pour en parler sainement, je pense que vous jugerez que je suis autant au-dessous de la perfection, comme je suis au-dessus de tous ceux qui m’ont précédé en ce genre de poésie8, et que parmi cette grande confusion de paroles mal digérées, vous n’y trouverez rien digne d’admiration que de ce qu’un travail de si longue haleine a été entrepris par un homme de mon métier et de mon humeur. Je sais bien que c’est assez dire qu’on est ignorant et paresseux à écrire que de dire qu’on fait profession des armes9 ; mais ce n’est pas assez me connaî[NP4]tre que de croire que je ne le suis que comme l’ordinaire de ceux de ma condition. Je veux qu’on sache que je le suis au suprême degré ; et me trouve moi-même tellement étonné d’une si longue navigation, que j’ai peine à me ressouvenir du port d’où je suis parti. J’ai fait comme ceux, qui entreprenant un bâtiment avec irrésolution, le continuent sur divers desseins, dont les derniers condamnent ce que les premiers avaient approuvé. D’abord je m’étais proposé de me servir d’un sujet assez connu dans la cour : mais les déplaisirs que je reçus d’une certaine personne qui eût pu s’en attribuer les plus belles aventures me firent résoudre à changer les deux premiers actes qui étaient déjà faits, plutôt que de lui donner le contentement de voir l’histoire de ses amours dans mes vers10. Il est vrai que je suis bien aise qu’elle porte le nom d’Arténice, et voudrais être capable d’en fai[NP5]re durer la mémoire aussi longtemps que l’amour que j’ai pour elle. Il y a si peu de chose en ce siècle digne de louanges que je crois que la postérité ne doit point trouver mauvais de quoi je ne l’entretiens que des folies de ma jeunesse, puisque je n’ai rien de meilleur à lui dire. C’est chose étrange que ceux qui recherchent l’immortalité au prix de leur sang et de leurs veilles et que celles qui se retranchent des plus doux plaisirs de la nature pour s’acquérir la gloire d’être vertueux fassent si peu de cas de ceux qui la donnent, et qui ont une juridiction aussi absolue sur la réputation de tout le monde que celle des parlements sur les biens et sur les vies. N’est-ce pas faire comme ces gens qui dépendent11 tout ce qu’ils ont à la cour pour essayer d’y faire fortune, sans penser à se rendre agréables aux ministres de l’État ? Vous me direz qu’il ne me faut point tourmenter de cela, que ce n’est point à moi à reformer les humeurs du siècle, [NP6] qu’il le faut laisser comme il est, et suivre mon inclination ; j’en suis d’accord avec vous, et certes ce qui m’a fait étendre si longtemps sur cette matière est que je n’ai point de meilleure occupation en ma solitude, que de vous entretenir. J’y jouis d’un repos aussi calme que celui des anges ; j’y suis roi de mes passions aussi bien que de mon village ; j’y règne paisiblement dans un royaume qui est une fois aussi grand que le diocèse de l’évêque de Bethléem ; et si12 je quitterais de bon cœur cette royauté (si mes affaires me le permettaient) pour avoir l’honneur de vous gouverner, et vous dire moi-même que je suis,

Monsieur,

Votre très humble serviteur,

Racan.

Ce 15 Janvier 1625.

De la Roche Racan.