IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Recueil de paroles de musique (contenant la Pastorale, Ariane, La Mort d’Adonis)

Perrin, Pierre

Éditeur scientifique : Naudeix, Laura

Description

Auteur du paratextePerrin, Pierre

Auteur de la piècePerrin, Pierre

Titre de la pièceRecueil de paroles de musique (contenant la Pastorale, Ariane, La Mort d’Adonis)

Titre du paratexteAvant-propos

Genre du textePréface

Genre de la pièceopéras

Date1666

Languefrançais

ÉditionLouis Auld, The Lyric art of Pierre Perrin, founder of French opera, 3, Recueil de paroles de musique / de Mr Perrin, Henryville ; Ottawa ; Binningen : Institute of Mediaeval music, 1986, in-4°

Éditeur scientifiqueNaudeix, Laura

Nombre de pages9

Adresse sourceEn attente de numérisation

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Mise à jour2020-05-25

Mots-clés

Mots-clés français

GenreOpéra

SujetLyrique, pathétique

TempsDurée de la représentation

RéceptionSuccès ; cabale

FinalitéEmotions, pathétique, plaisir

ExpressionLangue, syntaxe, prosodie, rythme

MetadiscoursArt lyrique, art poétique

ActualitéFondation institutionnelle

AutreGoût français, style français

Mots-clés italiens

GenereOpera

ArgomentoLirico, patetico

TempoDurata della rappresentazione

RicezioneSucesso, cabala

FinalitàEmozioni, patetico, piacere

EspressioneLingua, sintassi, prosodia, ritmo

MetadiscorsoArte lirica, arte poetica

AttualitàFondazione istituzionale

AltriGusto francese, stile francese

Mots-clés espagnols

GéneroÓpera

TemaLirico, patético

TiempoDuracion de la representacion

RecepciónÉxito, cabala

FinalidadEmociones, patetico, placer

ExpresiónSintaxis, lengua, prosodia, ritmo

MetadiscursoArte lirico, arte poético

ActualidadFundacion institucional

OtrasGusto francés, estilo francés

Présentation

Présentation en français

Le recueil que rassemble aux alentours de 16661 le poète Pierre Perrin (ca. 1620-16752) vise à donner à son prestigieux dédicataire, le ministre Jean-Baptiste Colbert, une idée de son savoir-faire. « M. Perrin, que tout le monde reconnoît pour excellent et incomparable pour la composition des paroles de musique3» selon la formule de Cambert, l’un des compositeurs avec lesquels il travaille à élaborer un théâtre lyrique français, s’est en effet spécialisé dans la conception et l’écriture de pièces poétiques pour la musique. Il rend compte de cette activité dans ce volume resté à l’état de manuscrit4, qui contient l’essentiel de sa production5, puisqu’on y trouve non seulement des pièces de musique détachées, mais aussi trois œuvres dramatiques dont la musique est perdue : la Pastorale créée à Issy en 1659 et publiée à part6, et deux autres pièces à sujet mythologique, Ariane et La Mort d’Adonis qui ne furent recueillies que dans ce volume manuscrit. La transcription de l’ensemble du recueil, contenant la dédicace et l’avant-propos, fut publiée pour la première fois par Louis Auld7.

Dans l’avant-propos, Perrin s’adresse toujours au prestigieux lecteur dont il fait son dédicataire. Il fait en effet allusion à une cabale ayant empêché l’exécution complète de sa dernière « comédie en musique », La Mort d’Adonis, et le volume constitue une réponse d’autant plus pressante que s’y exprime pour la première fois l’ambition de fonder une « académie de poésie et de musique » qui jette les bases de l’académie d’opéra dont Perrin obtient en effet le privilège en 1669. Ici, il propose de la confier à des « poètes musiciens », sur le modèle des académies italiennes qui accueillaient des poètes autant que des compositeurs. Cette idée met l’accent sur la part essentiellement musicale de tout texte écrit pour la musique, qui marque la singularité de la démarche de Perrin.

Dans ce long texte, il expose en effet plusieurs idées concernant la facture des vers destinés spécifiquement à être mis en musique, ce qu’il nomme « paroles de musique ». L’originalité de sa perspective est double : d’une part, il distingue complètement la poésie destinée à être chantée de ce qu’il nomme « poésie destinée pour la récitation » ou « Poésie récitée », d’autre part, il affirme fortement que dans ce cas, le poète doit non seulement tenir compte de la musique, mais littéralement se mettre à son service.

Prenant pour preuve son succès auprès des nombreux musiciens qui ont utilisé ses vers, ainsi que celui qu’a rencontré auprès du public la première – et la seule – composition dramatique parvenue jusqu’à lui, la Pastorale créée à Issy en 16598, il se targue de pouvoir jeter les bases d’un art poétique, qu’il désigne donc comme un « Art Lyrique, qui montre la manière de composer des paroles de musique et celle de les bien mettre en musique et de les bien chanter ». Il ne fait pas aboutir le projet de ce livre, et se contente d’en faire ici le résumé, à partir d’idées déjà exposées ailleurs9. Le texte est par conséquent plus détaillé sur la technique de l’écriture des vers que sur la composition dramatique, même s’il exprime l’idée importante que la musique, uniquement conjointe aux passions, s’accommode mal des « raisonnements sérieux » et autres « passions graves », ce qui interdit de fait aux poètes pour l’opéra de choisir des « sujets sérieux » imités par exemple de la tragédie parlée contemporaine. De fait, l’opéra français va rester fidèle à la pastorale, au merveilleux, et aux émotions tendres ou pathétiques, se tenant à distance des sujets historiques et politiques mobilisés par les librettistes italiens.

Texte

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Avant-Propos

Le seul titre de ce livre et le dénombrement des pièces qu’il contient convaincront facilement le lecteur de cette vérité, que de tous les recueils de poésie lyrique anciens et modernes, aucun n’a fait voir au public ni tant de variété10 ni tant de nouveautés. Les Hébreux n’ont pas passé11 le cantique et le psaume, les Grecs et les Latins, l’ode ou la chanson, le dialogue, et quelques musiques de comédies récitées ; Les Allemands, Flamands, Anglais, Espagnols, et Français, les airs, les chansons et les dialogues ; les Italiens ont renvié12 sur eux les grands récits, les pièces de concert et les comédies en musique : Et cet ouvrage fait voir, non seulement un mélange de toutes ces pièces et introduit en France les grands récits à l’Italienne, composés de plusieurs chants liés13, les pièces de concert, composées de musiques liées, et les comédies en musique, mais encore des cantiques et des chansons latines pour l’église14, et celle15 de théâtre, celle de jour et celle de nuit : et ce qu’il y a de plus singulier, c’est que toutes ces pièces sont éprouvées16, et ont été mises en musique, depuis huit ou dix ans que j’ai commencé à m’appliquer à ces sortes de compositions, par tous les intendants et maîtres des musiques royales dont les noms sont écrits à la marge de chaque pièce, MM. Boesset et Baptiste Lulli, Surintendant de la musique de la chambre du Roi, M. Lambert M[aîtr]e de la même musique, [4,g] Sablières, M[aîtr]e de la musique de Monsieur, Cambert, M[aîtr]e de celle de la feue Reine, Moulinié, M[aîtr]e de celle de feu Monsieur, Gober, Robert, Dumont et Expilly, M[aîtr]es de la musique de chapelle du Roi17, et plusieurs autres illustres et excellents hommes ; et que la plupart ont été entendues et chantées devant la cour par les musiques royales qu’ils commandent ; et pour les airs et les chansons il est peu de gens qui ne se soient divertis à les chanter, de sorte que l’on peut dire de ces compositions, qu’elles ont épandu la musique et la joie par tout le royaume. Il est vrai que ces diverses pièces ont eu divers succès18, ce que j’attribue partie à l’inégalité de leur valeur, et à la justice que leur ont rendue les écoutants, partie aux caprices de ceux-ci, à leurs passions, à leur diverse capacité, et à leurs intérêts, et enfin à la bonne ou mauvaise fortune. Pour moi, suivant ma froideur ordinaire, j’ai tout entendu, sans m’élever pour les louanges, ni sans me rebuter pour les mépris ; dans la seule vue de faire mon profit des raisons alléguées ou pour l’approbation ou pour la censure, de me corriger de mes défauts et d’entrer dans l’esprit et le goût du siècle. Je dis le bon goût, car si nous eussions voulu nous en tenir au sens vulgaire, nous n’aurions pas passé19 l’air et la chansonnette : mais comme en ces pièces j’ai osé travailler aussi pour les savants et pour avancer la perfection de l’art, et introduit des pièces de musique plus grandes et plus sérieuses ; il me semble que ces premiers sont assez bien partagés pour ne rien envier aux derniers ; et de ma part, je leur déclare que je leur abandonne volontiers [4,d] Nanette20 pourvu qu’ils me laissent Adonis. Mais en vérité [ligne manquante] chanter l’un à pleine tête et fronder l’autre au petit coucher21, je ne sais ce qu’en diront ceux qui les verront maintenant au jour, et quel jugement ils feront de leur esprit et de leur critique. Je leur demande encore en faveur de cette belle la permission d’entretenir ces derniers dans cet avant-propos le plus succinctement que je pourrai de quelques observations que j’ai faites sur la composition des paroles de musique et des règles sur lesquelles j’ai travaillé, lesquelles sont entièrement nécessaires à savoir pour l’intelligence de cet ouvrage22.

Et pour commencer par la composition des paroles en général, j’ai cru que la fin du poète lyrique était de donner lieu à une musique parfaite et accomplie qui, pour enlever l’homme tout entier, touchât en même temps l’oreille, l’esprit et le cœur : l’oreille par un beau son, résultant tant des paroles que de la musique, l’esprit par un beau discours et par une belle composition de musique bien entreprise et bien raisonnée, et le cœur en excitant en lui une émotion de tendresse23.

Sur ce pied j’ai tâché de faire mon discours de musique beau, propre au chant et pathétique24 : et dans cette vue j’en ai toujours choisi la matière dans les passions tendres, qui touchent le cœur par sympathie25 d’une passion pareille, d’amour ou de haine, de crainte ou de désir, de colère, de pitié, de merveille, etc. et j’en ai banni tous les raisonnements sérieux et qui se font dans la froideur, et même les passions graves, causées par des sujets sérieux, qui touchent le cœur sans l’attendrir. Ma raison est que toutes ces sortes de discours, qui partent d’un cœur froid et reposé, se doivent prononcer dans la bienséance d’une voix assortie, c’est-à-dire égale et modérée, qui ne se hâte, ni se [5,g] ralentit, ne s’élève ni ne s’abaisse que modérément et par des intervalles et des mouvements peu notables : ce qui ne peut s’accorder avec le chant, lequel fléchit et change incessamment la voix en des tons fort éloignés et des mouvements fort divers, au lieu que les impulsions et les émotions du cœur tendres ou enjouées s’expriment agréablement et naturellement par des voix emportées et inégales. Ainsi, pour les matières lyriques, je me suis borné au merveilleux, à l’amoureux et à l’enjoué26.

J’ai même observé que les personnages de musique que j’ai fait chanter fussent eux-mêmes admirateurs, amoureux ou enjoués, comme sont les poètes, les musiciens, les amants, les bergers, les rustres, les ivrognes, les femmes, les enfants, etc. et j’ai choisi dans la fable et dans l’histoire ceux qu’elles nous disent avoir dansé ou chanté volontiers, Apollon, Pan, Pallas, Orphée, les Amours, les Nymphes, les Bacchantes, etc. David, Salomon, les Trois enfants dans la fournaise etc. J’en ai banni même les personnages allégoriques graves, comme les vertus, l’Europe, la France, la Justice, la Raison, etc. non pas les amoureux ou les enjoués, comme la Poésie, la Musique, le Jeu, l’Enfance, l’Ivrognerie, l’Amour, la Folie, etc.

Pour la pensée, je l’ai fait rouler sur les objets et sur les actions qui tombent naturellement et de proche en proche dans les sujets que j’ai voulu traiter. Dans les matières qui doivent exciter la joie ou l’admiration sérieuse j’ai choisi les objets de la nature les plus beaux, les plus plaisants et les plus admirables, le ciel, les astres, la verdure, les fleurs, les ruisseaux, les oiseaux, les zéphyrs, etc., et les actions de plaisir et de merveille, chanter, danser, dormir, faire l’amour27, s’entretenir  de choses agréables, combattre, voler, courir légèrement, etc. Dans les matières facétieuses j’ai employé de même les objets et les actions ridicules, les Pitaults28, les filles de [5,d] village, les vieilles, les hommes difformés, et tout ce qui porte le caractère de la nature contrefaite ; et pour les actions, jouer, tomber, rire, fouetter, etc. Enfin dans les matières qui doivent exciter la tristesse ou la pitié, j’ai pris mon sujet sur les objets qui excitent cette nature des passions, les désert[s], les rochers, les cavernes, les prisons et toutes les choses qui portent dans les cœurs des images d’horreur ou de compassion. J’ai recherché aussi de faire la pensée fine et délicate, mais j’ai évité celle qui est trop ingénieuse et trop profonde, parce qu’elle amuse29 trop l’esprit de l’écoutant, et empêche l’application de l’oreille à la musique, qui doit être la fin principale du poète lyrique30.

Quant à l’expression, comme la matière du vers est toute pathétique, je l’ai faite aussi autant que j’ai pu toute passionnée, et toute composée des figures les plus fortes et les plus pathétiques, d’exclamations de joie, de douleur, et de merveille ridicules et sérieuses ; d’interrogations, de plaintes, de sentences pathétiques, d’oppositions, de répétitions de paroles, de conversions de phrase, de prières, d’invitations et d’invocations, d’apostrophes aux choses insensibles, et de chutes fines et surprenantes. J’ai tenu la phrase entièrement dans sa construction naturelle, afin que l’esprit ne fut aucunement peiné à la comprendre, et pour cet effet j’ai fait répondre son ordre à l’ordre de la conception humaine et du discours ordinaire en sorte que les choses régissantes précèdent toujours les choses régies, comme en la bonne prose vulgaire, et j’ai évité curieusement toutes les transpositions éloignées ou hors d’usage. Je l’ai rendue autant que j’ai pu douce et bien sonnante à l’oreille [6,g] en évitant avec soin jusqu’aux moindres rudesses, et bien plus exactement que les plus sensés ne font dans la poésie destinée pour la récitation. Je l’ai faite courte et coupée de sens, de césures et de rimes31, pour donner plus de repos et d’aisance à la voix, et afin de rendre la phrase capable des répétitions de paroles que demande la musique pour cadrer32 à ses répétitions et à ses imitations de chant. J’ai évité les fréquentes élisions, particulièrement dans les césures, parce qu’elles dérobent cette aisance et ce repos à la voix, et l’obligent à continuer le chant tout d’une haleine, et travaillent33 ainsi la poitrine et la voix. Je l’ai faite juste et exacte, fournie de tous les mots nécessaires et purgée de tous les superflus. Enfin j’ai tâché de la rendre élevée et poétique, mais modérément et sans hyperboles trop enflées, sans allusions aux fables peu connues, et sans métaphores trop éloignées, ou hors d’usage34.

Pour les styles, comme l’âme touchée de sentiments de douleur ou de joie s’emporte, languit ou ressent une émotion modérée ; dans l’expression qu’elle en fait par les discours, j’ai fait et observé la différence de six sortes de styles ; le joyeux emporté, le languissant et le modéré ; et afin que le musicien pût bien varier la musique, tant pour les chants que pour les modes et les mouvements, j’ai tâché de bien varier aussi mes styles, particulièrement dans les longues pièces, et de passer souvent de l’un à l’autre, mais non pas brusquement du languissant à l’emporté, et de l’emporté au languissant, sans mêler entre [eux] deux le style modéré. Ainsi les expressions sont plus naturelles et plus agréables, et n’obligent pas le musicien de faire des oppositions si brusques de chants et de mouvements [6,d] lesquelles étant trop proches sont aussi vicieuses dans la musique.

Pour la quantité des syllabes. Comme on doit observer nécessairement dans les vers de musique les syllabes brèves et longues, parce qu’elles répondent à des notes de même longues et brèves, je l’ai exactement et régulièrement observée dans toutes mes compositions lyriques et bien qu’à raison des e mols35 de notre langue, cette quantité y soit peu marquée, et que les syllabes en soient presque toutes douteuses36, et puissent cadrer ainsi à toutes sortes de notes ; néanmoins j’ai observé les syllabes qui sont nécessairement longues ou brèves, et quand j’ai travaillé pour une mesure libre, j’ai tâché de faire une belle variété de syllabes longues et brèves, ou de syllabes douteuses : en sorte qu’il n’y en eut pas plus de trois ou quatre longues ou brèves de suite ; et lorsque j’ai composé pour un chant donné, j’ai fait cadrer les syllabes brèves ou douteuses aux notes brèves, les syllabes longues ou douteuses aux notes longues. Or, de cette quantité l’oreille est la balance, et la connaît aisément par l’usage37.

Quant aux mots lyriques, je les ai choisis courts, en sorte qu’ils ne passent pas quatre syllabes, et bien mêlés de syllabes longues et brèves, ou composés de syllabes douteuses. J’ai observé qu’ils fussent dans l’usage du monde galant, qu’ils fussent doux et bien sonnants à l’oreille, doux et légers dans l’expression des choses [douces] et légères, et doux et pesants dans celle des choses pesantes et tardives : et qu’ils expriment dans leurs sons ou dans leur prononciation, quelque image des objets, des actions, des passions, ou des sons qu’ils figurent.

[7,g] Pour les rimes, j’ai toujours observé dans mes rimes féminines que la syllabe pénultième sur laquelle on fait ordinairement la cadence, qui demande une tenue de voix et une note longue, soit aussi longue ou douteuse ; mais le plus souvent longue et bien marquée : à quoi la plupart de ceux qui composent pour la musique ne font d’ordinaire point de réflexion.

Pour l’étendue du vers lyrique, je l’ai tenue depuis une jusqu’à treize syllabes à l’ordinaire, évitant toutefois le vers masculin de neuf ou d’onze syllabes et le féminin de dix ou de douze, et coupant en ce cas plutôt le vers en deux.

Quant au mélange des vers masculins ou féminins, il est véritablement agréable pour varier les cadences en masculines et en féminines, mais non pas tout à fait nécessaire comme dans la poésie récitée ; parce que la variété du chant donne assez de variété aux vers, et que les masculins dans les chansons sont plus fréquents que les féminins, à cause qu’ils marquent mieux les battements de danse qui les composent38. J’ai observé seulement qu’il n’y eut pas dans les compositions libres plus de trois vers de suite de même rime, si ce n’est dans les choses facétieuses et enjouées où l’on affecte le ridicule et l’irrégulier.

Pour les stances, je n’ai pas passé le huitain et j’ai trouvé que les meilleurs sont les distiques, les quatrains, cinquains et sixains de petits vers ou de vers irréguliers : parce que, comme nous avons dit, plus la phrase est courte et coupée, plus elle est propre pour la musique. Je l’ai composée de vers réguliers ou irréguliers à fantaisie, quand j’ai travaillé pour une mesure libre ; mais le plus souvent d’irréguliers, parce qu’ils donnent lieu à plus de variété dans les chants39. Voilà les règles à peu près que j’ai observées dans la composition des paroles de musique en général. Pour ce qui regarde les pièces, elles répondent aux pièces de musiques pour lesquelles elles sont composées [7,d] qui sont ou des récits pour une voix seule, ou des pièces de concert pour plusieurs voix. Les récits pour une voix seule comprennent l’air, la chanson et le grand récit, et les pièces de concert comprennent les dialogues, duos, trios, quatuor, et pièces de chœurs, tant pour la chambre et pour la nuit40, que pour l’église et pour le théâtre. Or de chacune de ces pièces nous avons donné des exemples dans ce recueil, sur lesquelles il est à propos de donner un mot d’éclaircissement.

L’Air marche à mesure et à mouvement libre et graves, et ainsi il est plus propre pour exprimer l’amour honnête, et les émotions tendres qu’il cause dans les cœurs de douleur ou de Joie, par les divers rencontres et évènements de présence, d’éloignement, de retour, de poursuite, de désir, d’espérance, de crainte, de colère, de mépris, de jouissance, etc. Il n’excède pas la valeur de six grands vers, ni ne se borne pas aussi à moins du grand distique ; les meilleurs à mon avis sont les quatrains, cinquains ou sixains de vers irréguliers. Il peut être composé de trois parties, mais il réussit mieux à deux, qui cadrent à deux reprises de chant. Il peut être mêlé de rondeaux, au commencement, au milieu, à la fin, ou en quelque endroit que ce soit ; et ces jeux mêmes ont beaucoup de grâce dans la musique, parce qu’ils donnent lieu aux reprises et aux répétitions, imitations et relations de chant, sur lesquelles roule toute sa beauté. Or de ces rondeaux et de ces reprises les chutes et les liaisons doivent être fines et bien tournées et les significations le plus que l’on peut équivoques et différentes41. L’air aussi doit avoir comme eux généralement une chute ingénieuse, et doit être proprement un madrigal de musique : toutefois il suffit bien souvent du beau tour et de l’expression pathétique, mais quand l’un et l’autre [8,g] s’y rencontrent, l’ouvrage est de tout point achevé.

À raison de la brièveté et que les matières sérieuses ennuient aisément, on ne lui donne qu’un second couplet ou une seconde stance, dont les règles sont, qu’elle doit être exactement pareille à la première, non seulement quant à la liaison du sens au nombre et à la longueur des vers, à la quantité des syllabes et aux césures et pauses ou appuis de voix ; mais elle doit même conserver les figures principales du premier couplet, particulièrement quand elles sont fort marquées, comme sont celles de l’exclamation, de l’interrogation et de la plainte. Or dans ces seconds couplets on doit conserver autant qu’on peut, les reprises finales des premiers, mais on peut aussi les changer et en substituer d’autres en leur place, au cas du défaut des rimes ; comme vous verrez en quelques-uns de nos airs. Pour les airs en rondeaux, ils peuvent se passer de second couplet, parce que les paroles du rondeau se retrouvant à la fin ainsi qu’au commencement du premier couplet, on en redit volontiers la suite, et l’on répète l’air entier qui tient lieu de second couplet : toutefois on en peut faire aussi qui se lient aux paroles du rondeau, comme vous verrez en quelques-uns des nôtres ; ou même de seconds couplets à fantaisie en conservant seulement la figure du rondeau pour cadrer à ses reprises de chant.

La chanson diffère de l’air, en ce que l’air suit comme nous avons dit une mesure libre, et la chanson un mouvement réglé, ou de danse ou autre ; et cela ou en son tout ou en quelques-unes de ses parties. Les plus communes se font pour des chants ou sur des chants de danses, graves ou légères. Les graves sont les sarabandes, les gavottes graves, et les courantes, et demandent des paroles tendres et sérieuses, pareilles à celles des airs; et les chansonnettes de danses légères, comme gavottes légères, menuets, gigues, passepieds, bourrées, canaris, gaillardes, airs légers de ballet etc., cadrent mieux à des paroles enjouées ou champêtres.

[8,d] Vous en trouverez ici de composées sur des chants ou pour des chants pareils de toute sorte, même d’aucunes composées pour cadrer à des mouvements de danses diverses, et qui sont moitié gavottes, et moitié gigues, ou moitié gigues et moitié bourrées etc. Or, la manière de composer des chansons pareilles qui cadrent à toutes les danses, qui est toute de mon invention et d’un succès merveilleux, je me réserve à l’enseigner au public, quand je lui donnerai mon art lyrique, qui montre la manière de composer des paroles de musique et celle de les bien mettre en musique et de les bien chanter, dont cet avant propos est comme un raccourci que je lui donne par avance42. Là j’expliquerai les choses plus au long et je traiterai l’art à la manière des arts, par règles et par exemples, et j’enseignerai plusieurs choses curieuses et par moi inventées, entre autres la manière de composer des paroles sur un chant noté sur la note même. Il serait à désirer que pour examiner et pour fixer les règles de cet art si utiles pour l’avancement et pour la conciliation de la poésie et de la musique, Sa Majesté voulût établir une Académie de poésie et de musique43, composée de poètes et de musiciens, ou s’il se pouvait, de poètes musiciens, qui s’appliquassent à ce travail, ce qui ne serait pas d’un petit avantage au public ni peu glorieux à la nation.

Vous trouverez ensuite dans cet ouvrage un recueil de grands récits composés pour plusieurs chants liés, premièrement pratiqués par les Italiens44, et que j’ai aussi le premier introduit en France ; le premier qui y ait été chanté étant celui que vous verrez ici de Polyphème Jaloux, que j’ai tiré d’un récit Italien sur un pareil sujet, et mis en musique par le Sr Moulinié, et le second la mort de Thisbé mis en musique par M. de Sablières, et tirée aussi de l’italien. Le succès de ces récits, quoi que disent les ignorants, est merveilleux, pourvu qu’ils ne soient pas trop longs et ne passent pas quatre ou cinq [9,g] petites stances, particulièrement les sérieux, car les folâtres ennuient moins ; qu’ils soient bien variés de styles dans les paroles et dans les chants, et d’ailleurs bien chantés et par d’excellentes voix ; à ces conditions il faut convenir qu’ils sont admirablement beaux et touchants.

Les pièces de concert à plusieurs voix ou parties doivent être composées en sorte que toutes les personnes qui les chantent les puissent chanter avec sens et ressentir la passion qu’elles expriment soit qu’ils [sic] chantent ensemble ou séparément, qu’ils se divisent ou qu’ils se réunissent. En quoi les musiciens se trompent, lorsqu’ils mettent en parties les airs et les chansons, dont les paroles expriment la passion d’une personne singulière, lesquelles ne sont propres que pour des chants de récit à une voix seule. Il y a dans ce recueil des paroles pour des dialogues, duos, trios, chœurs ou grands airs en parties, des chansons en parties et des pièces de concert mêlées de chœurs et de récits. La règle générale que l’on doit observer dans la composition de ces pièces est de ne pas faire chanter les chœurs que dans les reprises, et faire que les paroles soient auparavant récitées par des voix singulières, une, deux ou trois tout au plus, pour n’en pas confondre la prononciation, qu’auparavant elles n’aient été distinctement entendues.

On voit ensuite les paroles à boire, contenant plusieurs airs, chansons, récits, dialogues et pièces de concert, composés sur le pied de ces mêmes règles, sans autre observation particulière, sinon que la matière en étant toute enjouée, j’ai travaillé principalement ces paroles dans l’esprit de la chansonnette, et pour cadrer à des mouvements gais de danse ou autres.

Les sérénades suivent les paroles à boire et sont aussi des airs, chansons, récits, etc. composés pour des musiques nocturnes, dont l’unique règle singulière est qu’elles ne s’éloignent point de [9,d] leur matière, qui est le sommeil, le réveil, la nuit et les choses et les actions nocturnes, et qui accompagnent la lumière tombante, défaillante, ou naissante.

Vous avez ensuite des paroles de musique pour des mascarades et des ballets45 ; premièrement, deux mascarades, l’une toute en musique, et l’autre composée de musiques et de danses46 : ensuite un projet de grand ballet aussi mêlé de danses et de musiques ; et enfin des récits, que j’ai composés pour des ballets du Roi47, lesquels ont assez couru la cour et le monde.

Ce qui semblera le plus curieux sont, à mon jugement, trois comédies48 en musique qui suivent, l’une sur le genre pastoral, l’autre sur le comique, et l’autre sur le tragique49 : que j’ai composées exprès pour justifier à la France, que de telles pièces peuvent réussir sur le théâtre français, dans tous les genres du dramatique, et plus avantageusement encore qu’elles ne font en Italie, où elles sont l’admiration et le passe-temps le plus agréable de toutes les nations : pourvu qu’elles soient discrètement50 conduites et faites sur les règles de l’art lesquelles nous traiterons à fond dans notre art lyrique et dont les principales sont, de ne les faire que de deux ou trois heures de représentation, qui est le temps le plus long de la plus excellente musique et le terme de la patience française dans les spectacles publics51 ; et de les composer toutes d’un bout à l’autre, comme sont celles-ci, de pièces lyriques et propres au chant, bien tissues et bien variées, airs, chansons, récits, dialogues et pièces de concert52.

1. La première de ces Comédies est une pastorale légère, [10,g] ou si vous voulez une églogue, qui fut mise en musique par M. Cambert M[aîtr]e de la Musique de la feue Reine et représentée huit ou dix fois au village d’Issy près Paris en 165953, par une troupe d’illustres de l’un et de l’autre sexe qui s’en réjouirent et le public : et qu’ensuite leurs Majestés et feue S[on] É[minence] désirèrent voir et virent à Vincennes54. Je ne parle point ici de son succès, et je m’en rapporte au jugement de plus de six mille personnes de qualité qui l’ont entendue55.

2. La Seconde Comédie est celle d’Ariane56, mise en musique par le même M. Cambert, mais non pas représentée, laquelle j’avais composée lors de la Paix pour feue S[on] É[minence] et qui par sa mort est restée sans exécution57.

3. La troisième est la Tragédie de la mort d’Adonis, mise en musique par M. Boesset58, dont S[a] M[ajesté] a entendu quelques pièces détachées à son petit coucher, chantées par cette même musique avec beaucoup de témoignages de satisfaction de sa part, et dont elle a eu souvent la bonté de prendre la défense contre toute la cabale du petit coucher, qui tâchait de l’abîmer59 par des motifs particuliers d’intérêt et de passion. Le public jugera maintenant de la composition des vers et bientôt de celle de la musique, mon dessein étant de lui donner imprimée celle qu’a composée cet intendant60 sur les premiers actes de cette pièce61 ; pour lui faire voir ce que peut la force de la cabale de cour pour abîmer les choses excellentes, et comme on trompe en ce pays [les] oreilles les plus fines aussi bien que les yeux les plus éclairés ; cette musique étant assurément la plus savante, la plus variée et la plus touchante qu’on ait entendue, je ne dis pas en France mais dans toute l’Europe depuis plusieurs siècles. C’est ce que je soutiens publiquement et je veux bien que le démenti m’en demeure si l’effet ne répond à mes paroles, au jugement du public et de la postérité désintéressée.

[10,d] Voilà ce qui regarde la musique profane ; vous trouverez ensuite des paroles de musique dévote et sainte, tant françaises pour la chambre, que latines pour l’église : premièrement des françaises, airs, chansons et récits de concert, faites aussi sur le pied de nos règles : ensuite des paroles latines, dans lesquelles, outre ces mêmes règles j’ai observé, premièrement d’en faire la latinité élégante, mais claire et facile à entendre62 ; la composant pour cet effet de mots et de phrases francisées, si l’on peut ainsi parler, et qui ont passé en notre langue, fuyant les mots et les phrases particulières à la latine. En second lieu, je l’ai composé sur le pied du vers lyrique français, non pas de vers et de strophes à la manière des Grecs et des Latins (parce que j’ai trouvé que cette observation de brèves et de longues ne faisait qu’embarrasser inutilement le poète et le musicien, et empêchait même l’un et l’autre de varier les entreprises, en fournissant une égalité perpétuelle de paroles), mais bien de stances à notre manière, composées de vers irréguliers et d’une belle variété de syllabes longues et brèves ; observant seulement d’exprimer les choses lentes par des vers latins féminins à rime féminine et lente et par des syllabes longues, et les choses vives et légères par des vers masculins à rimes légère et par des syllabes légères.

Il y a dans ces paroles latines deux sortes de pièces pour la musique, des cantiques ou paroles pour des motets, et des paroles pour des chansons : dont la différence est, que les stances des cantiques sont inégales et composées de vers irréguliers, parce que les motets, à qui elles doivent cadrer, sont des pièces de musique composées de chants [11,g] liés et variés ; et que les chansons sont composées de stances égales et de couplets répondants l’un à l’autre, parce qu’ils doivent tous cadrer et se rapporter à un même chant. Vous trouverez de grands et de petits cantiques depuis quatre vers jusqu’à trente ; passé cette longueur, le motet serait ennuyeux. Il y en a qui commencent et finissent par des rondeaux, d’autres qui sont coupés de reprises, tous les jeux de musique pouvant réussir aussi bien au latin qu’au français, pourvu qu’ils soient employés discrètement et qu’ils ne forcent pas trop la gravité du sujet. Il y a des récits pour une voix seule, des airs, des chansons et des duos, trios et dialogues pour plusieurs voix, sur le pied et sur le modèle des pièces françaises, à la réserve des chansons sur le mouvement des danses légères, gigues, bourrées, menuets etc., qui ne peuvent que malaisément compatir avec la gravité des matières saintes et dévotes, lesquelles souffrent bien le tendre, mais difficilement l’enjoué, et particulièrement le facétieux, à qui de tels mouvements conviennent uniquement. Vous trouverez une plus grande quantité de ces pièces latines dans le livre des cantiques pour la chapelle du Roi, que nous avons donné nouvellement à S[a] M[ajesté] et au public. Ceux-ci sont composés depuis, et ont été mis en musique pour la plupart par MM. Expilly et Du Mont63, et chantés dans la chapelle du Roi, devant S[a] M[ajesté].