IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Sganarelle, ou le Cocu imaginaire

Donneau de Visé

Éditeur scientifique : Forestier, Georges et Fournial, Céline

Description

Auteur du paratexteDonneau de Visé

Auteur de la pièceMolière

Titre de la pièceSganarelle, ou le Cocu imaginaire

Titre du paratexteÀ un ami

Genre du textePréface

Genre de la pièceComédie

Date1660

LangueFrançais

ÉditionParis, Guillaume de Luyne, 1662, in-12°.

Éditeur scientifiqueForestier, Georges et Fournial, Céline

Nombre de pages6

Adresse source

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Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/Moliere-Sganarelle-Preface2.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Moliere-Sganarelle-Preface2.odt

Mise à jour2014-01-29

Mots-clés

Mots-clés français

SujetGalant et spirituel

Personnage(s)Sganarelle ; sentiments naturels

ReprésentationAgréments propres à la représentation

RéceptionSuccès ; représentation / lecture

Relations professionnellesMolière / Donneau de Visé

AutreÉloge de Molière et du Cocu imaginaire ; comparaison avec Les Précieuses ridicules et Le Dépit amoureux ; esthétique galante

Mots-clés italiens

ArgomentoGalante e spiritoso

Personaggio(i)Sganarello ; sentimenti naturali

RappresentazioneAggradimenti propri della rappresentazione

RicezioneSuccesso ; rappresentazione / lettura

Rapporti professionaliMolière / Donneau de Visé

AltriLode di Molière e del Cornuto immaginario ; paragone con Le preziose ridicole e Il dispetto amoroso ; estetica galante

Mots-clés espagnols

TemaGalante y agudo

Personaje(s)Sganarelle ; sentimientos naturales

RepresentaciónEncantos propios de la representación

RecepciónÉxito ; representación / lectura

Relaciones profesionalesMolière / Donneau de Visé

OtrasElogio de Molière y del Cornudo imaginario ; comparación con Las preciosas ridículas y El despecho amoroso ; estética galante

Présentation

Présentation en français

En 1660, le libraire Jean Ribou parvient à publier une édition subreptice du Cocu imaginaire avec l’aide de Jean Donneau de Visé, qui a très probablement obtenu un privilège sous le nom du « sieur de Neuf-Villenaine ». Le texte en vers du Cocu imaginaire est accompagné d’une prose abondante – deux épîtres et un argument en tête de chaque scène – attribuable au futur fondateur du Mercure galant. Dans une première épître à la fois ironique et laudative adressée « À Monsieur de Molier »1, Donneau de Visé prétend qu’après avoir transcrit de mémoire le texte joué sur la scène du Petit-Bourbon et l’avoir inséré dans une lettre adressée à un ami de la campagne, il aurait été contraint de faire imprimer une copie de sa correspondance, tant ce texte aurait suscité de convoitises. La seconde épître, imprimée en italiques et adressée « À un ami », marque donc le début de cette correspondance fictive au ton volontiers badin. Elle encadre la pièce de Molière dont elle vante les qualités au hobereau qui ne l’a pas vu représenter. Comme l’épître précédente, elle vise tant à apaiser le dramaturge spolié qu’à susciter l’intérêt du lecteur de l’édition. Cette lettre informe en outre le lecteur moderne sur la réception du Cocu imaginaire au moment de sa création : alors que, selon une longue tradition critique, la pièce relèverait de la veine farcesque, l’auteur de la lettre met en avant l’inspiration galante du Cocu imaginaire, qu’il place dans la lignée du Dépit amoureux et des Précieuses ridicules, tout en soulignant la parfaite adéquation du théâtre de Molière avec les goûts de son public mondain. Surtout, il loue le génie observateur du dramaturge capable de représenter des sentiments naturels au théâtre. À cet éloge de Molière auteur succède un éloge tout aussi stratégique de Molière comédien, soutenu par un développement sur la supériorité de la représentation sur la lecture, dans des termes très proches de ceux de la préface des Précieuses ridicules. Si le jeune polygraphe explique qu’il a placé en tête de chaque scène des arguments décrivant le jeu des comédiens pour tenter de restituer à l’écrit l’un des agréments propres au théâtre, il n’en exhorte pas moins son destinataire à venir voir la pièce à Paris.

Texte

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À un ami2

Monsieur,

{NP1} Vous ne vous êtes pas trompé dans votre pensée, lorsque vous avez dit (avant que l’on le jouât) que si Le Cocu imaginaire était traité par un habile homme, ce devait être une parfaitement belle pièce. C’est pourquoi je crois qu’il ne me sera pas difficile de vous faire tomber d’accord de la beauté de cette comédie, même avant que de l’avoir vue, quand je vous aurai dit qu’elle part de la plume de l’ingénieux auteur des Précieuses ridicules. Jugez après cela si ce ne doit pas être un ouvrage tout à fait galant3 et tout à fait spirituel, puisque ce sont deux choses que son auteur possède avantageusement. Elles y brillent aussi {NP2} avec tant d’éclat que cette pièce surpasse de beaucoup toutes celles qu’il a faites4, quoique le sujet de ces [sic] Précieuses ridicules soit tout à fait spirituel et celui de son Dépit amoureux tout à fait galant. Mais vous en allez vous-même être juge dès que vous l’aurez lue, et je suis assuré que vous y trouverez quantité de vers qui ne se peuvent payer5, que plus vous relirez plus vous connaîtrez avoir été profondément pensés. En effet le sens en est si mystérieux qu’ils ne peuvent partir que d’un homme consommé dans6 les compagnies, et j’ose même avancer que Sganarelle n’a aucun mouvement jaloux, ni ne pousse aucuns7 sentiments, que l’auteur n’ait peut-être ouïs lui-même de quantité de gens au plus fort de leur jalousie, tant ils sont exprimés naturellement ; si bien que l’on peut dire que quand il veut mettre quelque chose au jour, il le lit premièrement dans le monde (s’il est permis de parler ainsi), ce qui ne se peut {NP3} faire sans avoir un discernement aussi bon que lui, et aussi propre à choisir ce qui plaît. On ne doit donc pas s’étonner après cela si ses pièces ont une si extraordinaire réussite, puisque l’on n’y voit rien de forcé, que tout y est naturel8, que tout y tombe sous le sens, et qu’enfin les plus spirituels confessent que les passions produiraient en eux les mêmes effets qu’[elles] produisent en ceux qu’il introduit sur la scène.

Je n’aurais jamais fait9, si je prétendais vous dire tout ce qui rend recommandable l’auteur des Précieuses ridicules et du Cocu imaginaire. C’est ce qui fait que je ne vous en entretiendrai pas davantage, pour vous dire que quelques beautés que cette pièce vous fasse voir sur le papier, elle n’a pas encore tous les agréments que le théâtre donne d’ordinaire à ces sortes d’ouvrages. Je tâcherai toutefois de vous en faire voir quelque chose aux endroits où il sera nécessaire pour l’intelligence10 des {NP4} vers et du sujet11, quoiqu’il soit assez difficile de bien exprimer sur le papier ce que les poètes appellent jeux de théâtre, qui sont de certains endroits où il faut que le corps et le visage jouent beaucoup12, et qui dépendent plus du comédien que du poète, consistant presque toujours dans l’action13. C’est pourquoi je vous conseille de venir à Paris pour voir représenter Le Cocu imaginaire par son auteur, et vous verrez qu’il y fait des choses qui ne vous donneront pas moins d’admiration, que vous en aura donné la lecture de cette pièce ; mais je ne m’aperçois pas que je vous viens de promettre de ne vous plus entretenir de l’esprit de cet auteur, puisque vous en découvrirez plus dans les vers que vous allez lire que dans tous les discours que je vous en pourrais faire. Je sais bien que je vous ennuie et je m’imagine vous voir passer les yeux avec chagrin par-dessus cette longue épître ; mais prenez-vous-en à l’auteur... {NP5} Foin, je voudrais bien éviter ce mot d’auteur, car je crois qu’il se rencontre presque dans chaque ligne, et j’ai déjà été tenté plus de six fois de mettre Monsieur de Molier en sa place. Prenez-vous-en donc à Monsieur de Molier puisque le voilà. Non, laissez-le là toutefois, et ne vous en prenez qu’à son esprit qui m’a fait faire une lettre plus longue que je n’aurais voulu, sans toutefois avoir parlé d’autres personnes que de lui, et sans avoir dit le quart de ce que j’avais à dire à son avantage. Mais je finis, de peur que cette épître n’attire quelque maudisson14 sur elle, et je gage que dans l’impatience où vous êtes, vous serez bien aise d’en voir la fin et le commencement de cette pièce.

[…]15

{p. 59} Sans mentir, Monsieur, vous me devez être bien obligé de tant de belles choses que je vous envoie, et tous les melons de votre jardin ne sont pas suffisants pour me payer de la peine d’avoir retenu pour l’amour de vous toute cette pièce par cœur ; mais j’oubliais de vous dire une chose à l’avantage de son auteur, qui est que comme je n’ai eu cette pièce que je vous envoie que par effort de mémoire16, il peut s’y être coulé quantité de mots les uns pour les autres, bien qu’ils signifient la même chose ; et comme ceux de l’auteur peuvent être plus significatifs, je vous prie de m’imputer toutes les fautes de cette nature que vous y trouverez ; et je vous conjure avec tous les curieux de France de venir voir représenter cette pièce comme un des plus beaux ouvrages, et un des mieux joués qui ait jamais paru sur la scène.