IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

La Silvanire ou la Morte vive

Mairet, Jean

Éditeur scientifique : Douguet, Marc

Description

Auteur du paratexteMairet, Jean

Auteur de la pièceMairet, Jean

Titre de la pièceLa Silvanire ou la Morte vive

Titre du paratextePréface en forme de discours poétique. À Monsieur le Comte de Carmail

Genre du textePréface

Genre de la pièceTragi-comédie pastorale

Date1631

Languefrançais

ÉditionParis : François Targa, 1631, in-4°

Éditeur scientifiqueDouguet, Marc

Nombre de pages22

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56098141/f16.image

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/MairetSilvanirePreface.xml

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Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/MairetSilvanirePreface.odt

Mise à jour2017-04-14

Mots-clés

Mots-clés français

GenreComédie ; tragédie ; tragi-comédie ; typologie des genres poétiques ; typologie des genres dramatiques

SujetAttesté/inventé

DramaturgieDisposition de la comédie ; régularité ; vraisemblance

LieuUnité

TempsUnité

ActionUnité ; dénouement heureux/malheureux

Personnage(s)Condition basse/élevée

ReprésentationPrivée

FinalitéPlaisir

ExpressionSentences ; antithèses ; pointes ; style relevé/simple

AutreArt/génie ; poésie/oracle ; Homère ; Thespis ; Eschyle ; Sophocle ; Euripide ; Aristote ; Aristophane ; Eupolis ; Cratinos ; Ménandre ; Philémon ; Plaute ; Térence ; Lucrèce ; Aratus ; Virgile ; Ovide ; Horace ; Martial ; Quintilien ; Evanthius ; Donat ; Diomède ; Ronsard ; Le Tasse ; Guarini ; Guidobaldi ; Hardy ; Malherbe ; Racan ; Saint-Amant ; Ogier ; Mareschal ; Chapelain.

Mots-clés italiens

GenereCommedia ; tragedia ; tragicommedia ; tipologia dei generi poetici ; tipologia dei generi drammatici.

ArgomentoAttestato / inventato

DrammaturgiaDisposizione della commedia ; regolarità ; verosimiglianza

LuogoUnità

TempoUnità

AzioneUnità ; scioglimento felice / infelice

Personaggio(i)Bassa / alta condizione

RappresentazionePrivata

FinalitàPiacere

EspressioneSentenze ; antitesi ; motti ; stile aulico / semplice.

AltriArte / genio ; poesia / oracolo ; Omero ; Tespi. Eschilo ; Sofocle ; Euripide ; Aristotele ; Aristofane ; Eupoli ; Cratino ; Menandro ; Filemone ; Plauto ; Terenzio ; Lucrezio ; Arato ; Virgilio ; Ovidio ; Orazio ; Marziale ; Quintiliano ; Evanzio ; Donato ; Diomede ; Ronsard ; Tasso. Guarini ; Guidobaldi ; Hardy ; Malherbe ; Racoan ; Saint-Amant ; Ogier ; Mareschal ; Chapelain.

Mots-clés espagnols

GéneroComedia ; tragedia ; tragicomedia ; tipología de los géneros poéticos ; tipología de los géneros dramáticos

FuentesVerídico/inventado

TemaVerídico/inventado

DramaturgiaDisposición de la comedia ; regularidad ; verosimilitud

LugarUnidad

TiempoUnidad

AcciónUnidad ; desenlace feliz/infeliz

Personaje(s)Condición baja/alta

RepresentaciónPrivada

FinalidadPlacer

ExpresiónSentencias ; antítesis ; agudezas ; estilo elevado/ sencillo

OtrasArte/genio ; poesía/oráculo ; Homero ; Tespis ; Esquilo ; Sófocles ; Eurípides ; Aristóteles ; Aristófanes ; Eupolis ; Cratinos ; Menandro ; Filemón ; Plauto ; Terencio ; Lucrecio ; Arato ; Virgilio ; Ovidio ; Horacio ; Marcial ; Quintiliano ; Evancio ; Donato ; Diómedes ; Ronsard ; El Tasso ; Guarini ; Guidobaldi ; Hardy ; Malherbe ; Racan ; Saint-Amant ; Ogier ; Mareschal ; Chapelain.

Présentation

Présentation en français

La préface de la Silvanire est un des textes fondateurs de l’esthétique régulière qui triomphe dans les années 1630, et constitue un tournant dans la querelle entre les réguliers et les irréguliers. Souvent comparée, par son importance, à celle de Cromwell, elle fait de La Silvanire une véritable pièce manifeste – la première pièce où un dramaturge non seulement respecte les trois unités, mais aussi revendique cette régularité. Elle se démarque de la Lettre sur les vingt-quatre heures de Chapelain par deux aspects principaux : d’une part, Mairet insiste sur sa position de dramaturge, et explique plus sa propre pratique qu’il ne cherche à élaborer un système théorique ; d’autre part, il ne justifie pas la régularité par l’autorité d’Aristote ou par l’efficacité morale, mais par le plaisir qu’elle procure. Ce faisant, il entend priver d’un de leurs principaux arguments les irréguliers (notamment Ogier et Mareschal, avec lesquels il dialogue en permanence), qui voyaient dans la diversité des lieux et des temps la condition nécessaire pour plaire au spectateur moderne.

Dans un premier temps, Mairet procède du général au particulier : définition de la poésie et typologie des différents genres poétiques ; typologie des différents genres dramatiques ; description des parties de la comédie (à laquelle Mairet rattache sa tragi-comédie pastorale) et exposé des trois « conditions essentielles de la comédie » (sujet feint, unité d’action, unité de temps). Dans un second temps, Mairet se livre à un examen de La Silvanire et s’attache à montrer son adéquation aux règles qu’il vient d’énoncer. Au-delà de l’importance théorique de ce texte, il est nécessaire de rappeler que c’est uniquement en ce qui concerne l’unité de temps que Mairet fait preuve d’originalité : dans le reste de son développement, il n’hésite pas à recycler (à la limite du plagiat) des lieux communs définis par les théoriciens de l’Antiquité tardive et repris par les érudits du XVIe siècle, et doit ses idées les plus novatrices au Compendio della poesia tragicomica de Guarini1.

Texte

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Préface en forme de discours poétique. À Monsieur le Comte de Carmail

{NP 1}Monsieur,

Il y peut avoir deux ans que Monseigneur le Cardinal de La Valette et vous2 me persuadâtes de composer une pastorale avec toutes les rigueurs que les Italiens ont accoutumé3 de pratiquer en cet agréable genre d’écrire, auquel il faut avouer que trois ou quatre des leurs ont divinement bien réussi4. Le désir que j’eus de vous plaire à tous deux me fit étudier avec soin sur les ouvrages de ces grands hommes, où, après une exacte recherche, à la fin je trouvai qu’ils n’avaient point eu de plus grand secret que de prendre leurs mesures sur celles des anciens Grecs et Latins, dont ils ont observé les règles plus religieusement que nous n’avons pas fait jusques ici. Je me suis donc proposé de les imiter, non pas en l’excellence de leurs pensées, à la hauteur {NP 2}desquelles je ne prétends pas arriver, mais seulement en l’ordre et la conduite de mon poème, que possible5 trouverez-vous un des plus réguliers de notre langue, après l’examen que vous en ferez s’il vous plaît à votre loisir. C’est pourquoi je me suis avisé de faire voir ce petit discours de la poésie, que je vous adresse, Monsieur, comme au Seigneur de la Cour de votre profession qui savez le plus de belles choses, et qui les pratiquez le mieux. Comme je suis trop jeune6 et trop ignorant pour enseigner, aussi ne mets-je pas cette préface pour instruire personne7 : mon intention en ceci n’est que de témoigner que, si je n’ai pu faire un ouvrage accompli, au moins n’ai-je pas été négligent à rechercher les moyens qui me pouvaient aider à le rendre tel, et que ma tragi-comédie n’est point une pièce à l’aventure8.

Du poète et de ses parties9.

Poète proprement est celui-là qui, doué d’une excellence d’esprit, et poussé d’une fureur divine10, explique en beaux vers des pensées qui semblent ne pouvoir pas être produites du seul esprit humain11. J’ai dit doué d’une excellence d’esprit, à la différence du prophète, à qui cette condition n’est aucunement nécessaire, {NP 3}d’autant que les oracles que les prophètes rendaient le plus souvent en vers venaient immédiatement de l’esprit divin, ou réputé tel, qui les agitait, témoins les livres des Sibylles, et les réponses d’Apollon12.

Par cette définition il paraît que pour être vraiment appelé poète, il ne suffit pas d’avoir l’esprit hors du commun, ni de savoir bien tourner un vers, mais de plus qu’il est nécessaire d’avoir cette vertu naturelle de bien inventer13, et cet enthousiasme14 par qui l’âme du poète est souventes fois élevée au-dessus de sa matière, avec cet Os magna sonaturum d’Horace15, qui ne se peut pas assez bien expliquer en notre langue. De là vient sans doute que quelques-uns ont fait difficulté de compter Lucain parmi les poètes16, pour ce qu’il a raconté son histoire purement et simplement comme elle était arrivée, sans se servir des fictions et des inventions de la poésie. Il est vrai qu’à prendre le nom de poète un peu moins rigoureusement, quiconque faisant des vers avec art17 observe comme il faut la bienséance des choses et des paroles peut être encore appelé poète ; et c’est ainsi que Lucain n’est plus au nombre des historiens. Il est donc assuré que, de deux sortes de qualités qui doivent entrer en la composition d’un bon poète, les unes sont purement naturelles, et les autres sont étrangères18. Les naturelles, à plus près19, sont l’adresse d’inventer agréablement, la force de bien imaginer, et surtout l’habileté et l’incli{NP 4}nation puissante à la poésie, qui fait par exemple que, de deux esprits également bons et savants, celui-là viendra plus aisément à bout d’un grand poème, que cettui-ci ne fera pas d’une épigramme. Je ne dis rien de la netteté du jugement, d’autant que c’est une condition requise non seulement à la perfection de cet art en particulier, mais encore de tous les autres en général. Les qualités étrangères sont la parfaite science de sa langue jusques aux moindres grâces dont elle est capable, la connaissance des bonnes lettres, particulièrement des humanités, comme de celles qui tombent plus communément dans la matière20, et de la philosophie morale et physique, dont les principes au moins sont absolument nécessaires pour ne rien dire d’impertinent ou de contradictoire.21 Et finalement l’art de faire des vers non seulement dans la rigueur des règles ordinaires, mais encore avec cette élégance et cette douceur qui s’admire plutôt qu’elle ne se laisse imiter, telle qu’on la remarque en ceux de Monsieur Malherbe22, et qu’on ne peut mieux exprimer que par ce je ne sais quoi, qui fait que, de deux parfaitement belles femmes, l’une sera plus agréable que l’autre, sans que l’œil qui reconnaît cette grâce en puisse deviner la raison23. De manière qu’après avoir considéré combien de choses excellentes concourent à la structure d’un parfait poète, il ne se faut pas étonner si la rencontre en a toujours été si difficile. Mais {NP 5}d’autant qu’on peut demander qui24 de la nature ou de l’art, c’est-à-dire de l’acquis, contribue davantage à l’accomplissement de ce chef-d’œuvre, il est hors de doute que l’art ne fera jamais rien d’achevé sans l’assistance de l’autre. Que si l’on veut savoir laquelle de ces deux parties se soutiendrait plus aisément d’elle-même25, il y a de l’apparence26 que ce serait la nature, et qu’un homme avec les seuls avantages de la naissance se témoignera mieux poète qu’un autre ne pourrait faire avec toutes les recherches et les méditations d’un long étude27. Il n’en est pas de même de l’orateur, qui doit chercher sa perfection du côté de l’art, sans avoir absolument besoin du secours de la nature, je veux dire de cette aptitude que nous avons en naissant à quelque sorte d’exercice. Fimus oratores, nascimur poetae28. De là vient que quantité de beaux esprits, soutenus seulement de la vigueur de leurs génies, ont fait aux siècles passés et font encore au nôtre de si belles choses ; témoins les poésies de Messieurs de Racan et de Saint-Amant, qui confessent29 eux-mêmes ingénument n’avoir jamais eu la moindre intelligence ni du grec ni du latin30. Bien31 est-il vrai que l’étude est entièrement nécessaire à la production d’un grand ouvrage, et qu’Homère et Virgile n’eussent pas entrepris sans lui ce qu’ils ont achevé si glorieusement avec lui32.

{NP 6}De l’excellence de la poésie.

Par la définition que j’ai donnée du poète, il est facile de connaître que c’est que poésie. Pour son étymologie, il y a fort peu de gens qui ne sachent qu’elle est tirée du verbe grec ποιέω, qui signifie creo vel facio33, de même que celle du mot de « vers » qui dérive du verbe latin verto, quod tandiu vertatur quandiu bene fiat34. C’est pourquoi35 on appelle un vers bien fait quand il est bien tourné. Sans m’arrêter donc à ces petites observations de grammaire, je passe aux louanges de la poésie, qu’on ne peut nier être le plus digne de tous les arts, soit pour la noblesse de son origine, comme celle qui vient immédiatement du Ciel, soit pour l’excellence des beaux effets qu’elle produit. Aussi la nomme-t-on le langage des Dieux, tant à cause qu’ils aimaient à être loués dans les temples avec hymnes et cantiques, que pour ce que la douceur en est si charmante, que si les Dieux (disaient les Anciens) avaient à converser avec les hommes, il est croyable qu’ils se serviraient du langage de la poésie, comme on le juge par les oracles qu’ils prononçaient ordinairement en vers36. De là vient que les grands poètes ont mérité le titre de divins37.

{NP 7}De la différence des poèmes.

À prendre le nom de poète selon sa dernière et plus étendue définition, je trouve qu’il y a de trois sortes de poèmes38 : le dramatique, l’exégématique39, et le mixte. L’ouvrage dramatique, autrement dit actif, imitatif, ou représentatif, est celui-là qui représente les actions d’un sujet par des personnes entreparlantes40, et où le poète ne parle jamais lui-même : sous ce genre d’écrire se doivent mettre toutes les tragédies, comédies, certaines églogues et dialogues, et bref toutes les pièces où l’auteur introduit des personnes passionnées, sans qu’il y mêle rien du sien. L’exégématique ou récitatif est un ouvrage qui ne reçoit aucune personne parlante que celle de son auteur, comme sont tous les livres qui sont faits pour enseigner ou la physique, comme Lucrèce, ou l’astrologie, comme Aratus41, ou l’agriculture, comme Virgile en ses Géorgiques, hormis quelques fables qu’il a mêlées dans le quatrième42. Le mixte enfin est celui-là dans lequel le poète parle lui-même, et fait parler tantôt des Dieux et tantôt des hommes ; ce genre d’écrire s’appelle autrement épique ou héroïque, à cause des héros ou grands hommes ayant quelque chose de plus qu’humain, dont ils représentent les aventures : c’est ainsi qu’Homère a magnifié les actions de son {NP 8}Achille, et Virgile après lui celles de son Énée. Or d’autant que ce n’est pas mon dessein de faire un livre au lieu d’une préface43, je me contenterai d’examiner le dramatique, comme celui qui se pratique aujourd’hui le plus44, et qui seul est la véritable matière de mon discours.

De la tragédie, comédie et tragi-comédie.

Le poème dramatique se divise ordinairement en tragédie et comédie. Tragédie n’est autre chose que la représentation d’une aventure héroïque dans la misère, Est adversae fortunae in adversis comprehensio. Son étymologie est tirée du mot grec τράγος et ᾢδη, dont l’un signifie bouc, et l’autre chant, à cause que le bouc était le prix qu’on donnait anciennement à ceux qui chantaient la tragédie45. Comedia vero est civilis privataeque fortunae sine periculo vitae comprehensio. La comédie est une représentation d’une fortune privée sans aucun danger de la vie. Elle vient du mot χώμη, qui veut dire bourgs ou villages, à cause que la jeunesse de l’Attique avait accoutumé46 de la représenter à la campagne47. De la définition de la tragédie et de la comédie, on peut aisément tirer celle de la tragi-comédie, qui n’est rien qu’une composition de l’une et de l’autre48. De sorte que la tragédie est comme le miroir de la fragilité des choses humaines, d’autant {NP 9}que ces mêmes rois et ces mêmes princes qu’on y voit au commencement si glorieux et si triomphants y servent à la fin de pitoyables preuves des insolences de la fortune. La comédie au contraire est un certain jeu qui nous figure la vie des personnes de médiocre49 condition, et qui montre aux pères et aux enfants de famille la façon de bien vivre réciproquement entre eux ; et le commencement d’ordinaire n’en doit pas être joyeux, comme la fin au contraire ne doit jamais en être triste. Le sujet de la tragédie doit être un sujet connu, et par conséquent fondé en histoire, encore que quelquefois on y puisse mêler quelque chose de fabuleux. Celui de la comédie doit être composé d’une matière toute feinte, et toutefois vraisemblable50. La tragédie décrit en style relevé les actions et les passions des personnes relevées, où51 la comédie ne parle que des médiocres en style simple et médiocre. La tragédie en son commencement est glorieuse, et montre la magnificence des grands ; en sa fin, elle est pitoyable, comme celle qui fait voir des rois et des princes réduits au désespoir ; la comédie à son entrée est suspendue, turbulente52 en son milieu, car c’est là que se font toutes les tromperies et les intrigues, et joyeuse à son issue. De manière que le commencement de la tragédie est toujours gai, et la fin en est toujours triste ; tout au rebours de la comédie, dont le commencement est volontiers assez triste, pour ce qu’il est {NP 10}ambigu53, mais la fin en est infailliblement belle et joyeuse ; l’une cause un dégoût de la vie, à cause des infortunes dont elle est remplie ; et l’autre nous persuade de l’aimer par le contraire54.

Des parties principales de la comédie.

La tragédie et la comédie diffèrent entre elles non seulement en la nature de leur sujet, mais encore en la forme et la disposition de leurs parties. Mais d’autant que je veux être succinct, et que ma pastorale est tout à fait disposée à la comique, bien qu’elle soit de genre tragi-comique55, il suffira que je fasse la division des parties de la comédie, sans m’arrêter à celles de la tragédie, qui sont assez amplement déduites56 chez le philosophe et le commentateur de Sénèque57.

Les parties principales de la comédie sont quatre, prologue, prothèse, épitase, et catastrophe. Prologue est une espèce de préface, dans lequel il est permis, outre l’argument du sujet, de dire quelque chose en faveur du poète, de la fable même, ou de l’acteur58.

Prothèse est le premier acte de la fable, dans lequel une partie de l’argument s’explique, et l’autre ne se dit pas, afin de retenir l’attention des auditeurs.

Épitase est la partie de la fable la plus turbulente, où l’on voit paraître toutes ces difficultés et ces in{NP 11}trigues qui se démêlent à la fin, et qui proprement se peut appeler le nœud de la pièce.

Catastrophe est celle qui change toute chose en joie, et qui donne l’éclaircissement de tous les accidents59 qui sont arrivés sur la scène. Cette division est suivant l’ordre des comédies de Térence, que le Tasso et Guarini ont ponctuellement60 observée. Reste maintenant à savoir quelles sont les conditions essentielles de la comédie.

Il me semble avoir déjà dit que le sujet de la comédie doit être feint, à la différence de celui de la tragédie, qui doit avoir un fondement véritable et connu, comme l’Antigone et la Médée, encore qu’il soit permis d’y mêler le fabuleux, tel que la fuite de cette désespérée61 après l’embrasement du palais de Créon, et le retour de Thésée après son voyage aux Enfers62.

Au reste le sujet de la comédie doit bien être une pure feinte, et non pas une fable ; car fable est une invention de choses qui ne sont pas, et qui ne peuvent être, comme les Métamorphoses d’Ovide.

La seconde condition est l’unité d’action, c’est-à-dire qu’il y doit avoir une maîtresse et principale action à laquelle toutes les autres se rapportent comme les lignes de la circonférence au centre63. Il est vrai qu’on y peut ajouter quelque chose en forme de l’épisode de la tragédie, afin de remédier à la nudité de la piè{NP 12}ce, pourvu toutefois que cela ne préjudicie en aucune façon à l’unité de la principale action à laquelle cette-ci est comme sous-ordonnée64 : et en ce cas le sujet de la comédie n’est pas simple, mais composé, comme l’on peut voir en la plupart de celles de Térence.

La troisième et la plus rigoureuse est l’ordre du temps, que les premiers tragiques réduisaient au cours d’une journée, et que les autres, comme Sophocle en son Antigone, et Térence en son Ἑαυτὸν τιμωρούμενος de Ménandre65, ont étendu jusqu’au lendemain, car c’est toute la même règle et la même condition aux comédies qu’aux tragédies66. Il paraît donc qu’il est nécessaire que la pièce soit dans la règle, au moins des vingt-quatre heures, en sorte que toutes les actions du premier jusqu’au dernier acte, qui ne doivent point demeurer en-deçà ni passer au-delà du nombre de cinq67, puissent être arrivés dans cet espace de temps.

Cette règle, qui se peut dire une des lois fondamentales du théâtre, a toujours été religieusement observée parmi les Grecs et les Latins. Et je m’étonne que de nos écrivains dramatiques, dont aujourd’hui la foule est si grande, les uns ne se soient pas encore avisés de la garder68, et que les autres n’aient pas assez de discrétion69 pour s’empêcher au moins de la blâmer70, s’ils ne sont pas assez raisonnables pour la suivre après les premiers hommes de l’Antiquité, qui ne s’y sont pas généralement71 assujettis sans occasion72. Pour {NP 13}moi je porte ce respect aux Anciens, de ne me départir jamais ni de leur opinion ni de leurs coutumes, si je n’y suis obligé par une claire et pertinente raison. Il est croyable avec toute sorte d’apparence73 qu’ils ont établi cette règle en faveur de l’imagination de l’auditeur, qui goûte incomparablement plus de plaisir74 (et l’expérience le fait voir) à la représentation d’un sujet disposé de telle sorte que d’un autre qui ne l’est pas ; d’autant que sans aucune peine ou distraction il voit ici75 les choses comme si véritablement elles arrivaient devant lui, et que là76, pour la longueur du temps, qui sera quelquefois de dix ou douze années, il faut de nécessité que l’imagination soit divertie du plaisir de ce spectacle qu’elle considérait comme présent77, et qu’elle travaille à comprendre comme quoi le même acteur, qui naguère parlait à Rome à la dernière scène du premier acte, à la première du second se trouve dans la ville d’Athènes, ou dans le grand Caire si vous voulez78 ; il est impossible que l’imagination ne se refroidisse, et qu’une si soudaine mutation de scène79 ne la surprenne, et ne la dégoûte extrêmement, s’il faut qu’elle coure toujours après son objet de province en province, et que presque en un moment elle passe les monts et traverse les mers avec lui. Oui, mais, dira quelqu’un, qui croira peut-être avoir bien objecté, que fera donc l’imagination ? et quel plaisir pourra-t-elle prendre à la lecture des histoires et des romans, {NP 14}où la chronologie est si différente80 ? ou pourquoi ne suivra-t-elle pas son objet partout, puisqu’elle ne peut être arrêtée ni par les montagnes ni par les mers81 ?

À cela je fais réponse, que l’histoire et la comédie pour le regard de l’imagination ne sont pas la même chose. La différence est en ce point, que l’histoire n’est qu’une simple narration de choses autrefois arrivées, faite proprement pour l’entretien de la mémoire, et non pour le contentement de l’imagination, où82 la comédie est une active et pathétique représentation des choses comme si véritablement elles arrivaient sur le temps83, et de qui la principale fin est le plaisir de l’imagination84. C’est pourquoi dans l’ordre de l’histoire exégématique mon imagination ne trouvera point étranges les longs voyages, pour ce que je suppose qu’ils ont été faits avec temps85 ; mais dans celui de la dramatique, il est assuré que, si puissante qu’elle soit, elle ne s’imaginera jamais bien qu’un acteur ait passé d’un pôle à l’autre dans un quart d’heure ; et, quand même elle pourrait le faire, en supposant la même longueur de temps qu’elle suppose en l’histoire (ce qui néanmoins ne se permet pas en la comédie, pour la raison que j’en ai déjà donnée), il est impossible qu’une telle supposition ne lui diminue beaucoup de son plaisir, qui consiste principalement en la vraisemblance. Or puisque l’on est d’accord que l’intention {NP 15}du comique est de contenter l’imagination de son auditeur en lui représentant les choses comme elles sont, ou comme elles devraient être, et que pour cet effet il emprunte le secours de la voix, des gestes, des habits, des machines et décorations de théâtre, il me semble que les Anciens ont eu juste raison de restreindre leurs sujets dans la rigueur de cette règle, comme la plus propre à la vraisemblance des choses, et qui s’accommode le mieux à notre imagination, qui véritablement peut bien suivre son objet partout, mais qui d’autre côté ne prend pas plaisir à le faire. Il faut donc avouer que cette règle est de très bonne grâce, et de très difficile observation tout ensemble, à cause de la stérilité des beaux effets qui rarement se peuvent rencontrer dans un si petit espace de temps86. C’est la raison de87 l’Hôtel de Bourgogne88, que mettent en avant quelques-uns de nos poètes, qui ne s’y veulent pas assujettir, d’autant, disent-ils, que de cent sujets de théâtre il ne s’en trouvera possible89 pas un avec cette circonstance, et qu’on serait plus longtemps à le chercher qu’à le traiter et mettre en vers. Mais qu’importe-t-il du temps et de la peine, pourvu que la rencontre s’en puisse faire ? Il est ici question du mieux, et non pas du plus ou du moins : au lieu de dix et douze poèmes déréglés que nous ferions, contentons-nous d’en conduire un seul à sa perfection, et nous ressouvenons que le Tasso, le Guarini {NP 16}et le Guidobaldi90 se sont plus acquis de gloire, quoique chacun d’eux n’ait mis au jour qu’une pastorale, que tel qui parmi nous a composé plus de deux cents poèmes91.

Ce n’est pas que je veuille condamner, ou que je n’estime beaucoup quantité de belles pièces de théâtre, de qui les sujets ne se trouvent pas dans les bornes de cette règle : à cela près leurs auteurs et moi ne seront jamais que très bien ensemble. Il est vrai qu’elles me plairont encore davantage avec cette circonstance, pour ce qu’elles en seraient à mon avis plus accomplies, et que je conseillerai toujours à mon ami de ne mépriser pas une grâce pour qui les Anciens et les Modernes ont eu tant de considération que de ne la séparer jamais de la beauté de leurs ouvrages. Il ne sert de rien d’alléguer qu’il est impossible de rencontrer de beaux sujets avec la rigueur de cette condition, et que les Anciens, pour éviter la confusion des temps, sont tombés dans une plus grande incommodité, savoir est92 la stérilité des effets, qui sont si rares et si maigres en toutes leurs pièces, que la représentation n’en serait aujourd’hui que fort ennuyeuse93. Car encore qu’il soit véritable que les tragédies ou comédies des Anciens soient extrêmement nues, et par conséquent en quelque façon ennuyeuses, il ne s’ensuit pas de là que la trop rigoureuse observation de cette loi les ait réduits à cette nudité d’effets et d’incidents, {NP 17}dont la variété certainement nous eût été plus agréable.

Car on doit se représenter que les mêmes pièces que nous trouvons aujourd’hui si simples et si dénuées de sujet chez Euripide, Sophocle, et Sénèque étaient tenues de leur temps pour bien remplies à comparaison de celles du bon Thespis, qui promenait la tragédie en charrette, et du vaillant Eschyle après lui, qui pour grand ornement inventa l’usage du masque, de la courte robe, et du cothurne.

Ignotum tragicae genus invenisse Camenae
dicitur, et plaustris vexisse poemata Thespis, etc.94

De même que les comédies de Ménandre, de Philémon, de Plaute et de Térence, devaient être extrêmement riches, eu égard à la pauvreté de celles de Cratinus, d’Eupolis, et d’Aristophane95, à cause que les uns et les autres se trouvèrent au premier âge, et par manière de dire à l’enfance de la tragédie et de la comédie.

Disons donc que les Anciens nous ont laissé des poèmes beaucoup moins remplis à la vérité que ne sont les nôtres, tant pour la raison que je viens d’apporter, que pour quelque autre à nous inconnue, et qu’on n’infère pas de là que la rigueur de notre règle en ait été la principale cause, comme veulent quelques-uns de ces Messieurs qui n’ont pas envie de la recevoir. D’autant que nous ne pouvons croire cela{NP 18}sans faire tort à ces grands esprits de l’Antiquité96, qui sembleraient avoir eu moins d’invention97 en la composition de leurs sujets que nos modernes dramatiques98, qui nonobstant la difficulté de cette loi n’ont pas laissé d’en imaginer de parfaitement beaux, et parfaitement agréables, tels que sont par exemple le Pastor Fido, la Filis de Scire et, sans aller plus loin, La Silvanire ou la Morte vive99. Mais c’est fortifier de trop d’autorités et de raisons une chose qui se soutient et se défend assez d’elle-même : il m’est indifférent qu’ils l’approuvent ou qu’ils la réprouvent, pour mon particulier je sais bien à quoi je m’en dois tenir, avec bon nombre des plus habiles, particulièrement pour la pastorale, où la transgression de ces lois ne peut jamais être pardonnable, à mon avis, d’autant que le sujet en doit être feint, et qu’il ne coûte guère plus de le feindre réglé que déréglé.

Je vous ai déjà protesté100, Monsieur, que ce n’est pas mon dessein d’instruire personne, ou de passer pour quelque nouveau législateur de poésie. Je ne me suis avisé de faire ce discours que pour vous rendre compte de l’ordre et de la méthode que j’ai suivie101 en ce difficile genre d’écrire, de sorte que j’ai seulement travaillé pour la justification de mon ouvrage, et non pour la condamnation de ceux des autres, qui pourraient par aventure avoir violé toutes ces lois, que je fais profession d’observer, ou pour les ignorer {NP 19}(ce qui ne serait guère bien) ou pour les mépriser (ce qui serait encore pis). Je passe donc à la dissection de ma pièce en tous ses membres, afin que par la division des parties il soit plus aisé de juger de la composition du tout.

Premièrement, pour ce qui regarde la fable, il est hors de doute qu’elle est tout à fait de genre dramatique, non pas de constitution double, mais mixte, et de sujet non simple, mais composé102. Le mélange est fait de parties tragiques et comiques, en telle façon que les unes et les autres, faisant ensemble un bon accord, ont enfin une joyeuse et comique catastrophe, à la différence du mélange qu’Aristote introduit dans la tragédie, d’une telle duplicité que les bons y rencontrent toujours une bonne fin, et les méchants une méchante103. C’est pourquoi je trouve qu’elle est plus semblable à l’Amphitryon de Plaute104 qu’elle n’a de rapport avec le Cyclope d’Euripide, où la moitié de la scène regorge de sang, et l’autre nage dans le vin105, et qui proprement se peut dire de double constitution. Je dis que cette fable est de sujet non simple, mais composé, comme la plupart de celles de Térence106, où l’on voit que l’un sert de sujet principal, et l’autre d’épisode, si bien concerté107 toutefois qu’il ne fait rien contre l’unité de la fable108. Le principal est l’amour d’Aglante et de Silvanire, l’autre, qui tient place d’épisode, se forme en la personne de Tirinte et de Fossinde ; les autres {NP 20}parties de la fable sont comme les instruments et les moyens nécessaires pour conduire le tout à sa fin avec la vraisemblance et la bienséance des choses.

Secondement, pour l’ordre du temps, il est visible qu’elle109 est dans la juste règle, c’est-à-dire qu’il ne s’y trouve pas un seul effet qui vraisemblablement ne puisse arriver entre deux soleils. Je suppose que Silvanire soit tombée en léthargie sur le haut du jour110, on la porte au tombeau le soir même, tant pour ôter promptement ce funeste objet aux yeux du père et de la mère, que pour ce que ce n’était pas encore la mode de laisser les morts vingt-quatre heures sur le lit ; et de fait la coutume n’en est venue jusques à nous qu’après quelques fameux exemples de semblables assoupissements, joints aux cérémonies de la religion qui donne ce temps-là pour préparer les vivants à l’enterrement des morts111. Sur le point du jour elle revient à soi, et dans quelques heures après, le mariage d’elle et d’Aglante et de Fossinde avec Tirinte s’achève, d’autant plus aisément qu’on ne change jamais de scène112, et que toutes choses y sont disposées113. De sorte que la pièce commence par un matin et finit par un autre. Or parce qu’elle est disposée à la comique, je la veux diviser en quatre parties, suivant l’ordre que les meilleurs grammairiens observent en la division de celles de Térence, savoir est114 en prologue, prothèse, épitase et catastrophe. Le prologue recommande115 la {NP 21}pureté de la fable, et contient une partie de l’argument. La prothèse comprend les noces prétendues de Silvanire et de Théante, fondées sur l’avarice de Ménandre, l’aversion de Silvanire pour ce berger, l’effet du miroir d’Alciron. L’épitase contient la maladie de Silvanire, avec le mariage inespéré d’elle et d’Aglante du consentement de ses parents, sa mort, le désespoir d’Aglante, la rage de Tirinte, et tout le Forez en deuil. La catastrophe embrasse sa résurrection, le dernier116 consentement du père en faveur d’Aglante, la délivrance de Tirinte par l’invention117 de Fossinde, et bref le repos de ces amants après tant de tumultes.

Voilà, Monsieur, pour ce qui touche la nature et l’économie de mon sujet. Quant à la façon de le traiter, je l’ai prise des modernes Italiens, observant à leur exemple tant que j’ai pu la bienséance des choses et des paroles, évitant comme ils ont fait cette importune et vicieuse affectation de pointes et d’antithèses, qu’on appelle cacozélie118, appuyant mes raisonnements de sentences et de proverbes, et surtout ne m’écartant jamais de mon sujet pour m’égayer en la description d’une solitude ou d’un ruisseau119. Que si quelqu’un remarque que je parle d’un lévrier à la chasse du cerf, qu’il sache s’il lui plaît que j’entends parler d’un lévrier fort et léger, comme étaient ceux d’Hircanie, de la taille à peu près de ceux d’Angleterre, et de nos lévriers d’attache120 ; aussi, lui fais-je prendre un san{NP 22}glier aux oreilles121. Pour son étendue, il est vrai qu’elle passe un peu au-delà de l’ordinaire, et que l’ayant plutôt faite pour l’Hôtel de Montmorency122 que pour l’Hôtel de Bourgogne, je ne me suis pas beaucoup soucié de la longueur, qui paraît principalement au dernier acte, à cause de la foule des effets qu’il y faut nécessairement démêler : si c’est un défaut, c’est pour les impatients, et non pour les habiles. Enfin, Monsieur, pourvu que mon travail soit au goût de ceux qui l’ont parfaitement bon, comme vous l’avez, je m’en tiendrai bien récompensé. Pour le censeur, je ne l’appréhende point du tout ; s’il est honnête homme, je profiterai de ses avis, s’il ne l’est pas, je témoignerais123 l’être encore moins que lui si je m’en souciais.