IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Pénélope

Genest, Charles-Claude

Éditeur scientifique : Barbafieri, Carine

Description

Auteur du paratexteGenest, Charles-Claude

Auteur de la pièceGenest, Charles-Claude

Titre de la piècePénélope

Titre du paratextePréface

Genre du textePréface

Genre de la pièceTragédie

Date1702

LangueFrançais

ÉditionParis : Jean Boudot, 1703, in-8°. (Numérisation en cours)

Éditeur scientifiqueBarbafieri, Carine

Nombre de pages9

Adresse source

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Genest-Penelope-Preface-.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/Genest-Penelope-Preface-.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Genest-Penelope-Preface-.odt

Mise à jour2014-04-09

Mots-clés

Mots-clés français

GenreTragédie / épopée

SourcesHomère ; Ovide

SujetPropre à être mis au théâtre ; choix / traitement

DramaturgieNature du sujet ; reconnaissance ; préparation du nœud ; adaptation des sources

TempsUnité de temps

ActionVraisemblance du merveilleux ; amour

Personnage(s)Construction du caractère ; convenance ; égalité des mœurs ; élégiaque

ReprésentationValide la qualité du sujet

RéceptionSuccès

FinalitéPlaire ; instruire

AutreQuerelle de la moralité du théâtre

Mots-clés italiens

GenereTragedia / epopea

FontiOmero ; Ovidio

ArgomentoConveniente per il teatro ; scelta / trattazione

DrammaturgiaNatura del soggetto ; agnizione ; preparazione del nodo ; adattamento delle fonti

TempoUnità di tempo

AzioneVerosimilgianza del meraviglioso ; amore

Personaggio(i)Construzione del carattere ; decoro ; ugualglianza dei costumi ; elegiaco

RappresentazioneValida la qualità del soggetto

RicezioneSuccesso

FinalitàDilettare ; istruire

AltriControversia sulla moralità del teatro

Mots-clés espagnols

GéneroTragedia / epopeya

FuentesHomero ; Ovidio

TemaConveniente para el teatro ; elección / tratamiento

DramaturgiaNaturaleza del sujeto ; agnición ; preparación del nudo ; adaptación de las fuentes

TiempoUnidad de tiempo

AcciónVersoimilitud de lo maravilloso ; amor

Personaje(s)Construcción del carácter ; decoro ; igualdad de las costumbres ; elegíaco

RepresentaciónGarantiza la calidad del sujeto

RecepciónÉxito

FinalidadDeleitar ; enseñar

OtrasControversia sobre la moralidad del teatro

Présentation

Présentation en français

Dans la préface de sa Pénélope, l’abbé Genest répond aux reproches adressés à la pièce lors de sa création, qui précéda de presque vingt ans sa publication officielle, en 1703. Reconnaissant qu’il était difficile de resserrer la matière en vingt-quatre heures, de soumettre le sublime au vraisemblable, de ne pas altérer les caractères antiques en les adaptant à la scène moderne française, Genest se pose en peintre à l’antique, justifie les reconnaissances dans la pièce, conteste la faiblesse des deux premiers actes, explique les plaintes incessantes de Pénélope par l’exemple des anciens. Mais il place surtout sa pièce dans la querelle de la moralité du théâtre et défend un théâtre modéré chrétiennement, dont Pénélope serait le parfait exemple, qui combat les faiblesses humaines et exhorte à la vertu. Contre tous ceux qui soutiennent qu’un sujet fondé sur la vertu conjugale est un mauvais sujet dramatique, Genest imagine ainsi un théâtre chrétien qui pourrait, dans un cadre professionnel (et non dans les seuls collèges), célébrer avec bonheur les valeurs morales.

Texte

Afficher les occurrences dans les notes

Préface

{NP1} Pénélope vient d’être imprimée en Hollande sous le nom de M. de [L]a Fontaine1. Je pourrais me tenir honoré de ce qu’on a bien voulu l’attribuer à un auteur si célèbre, mais j’ai beaucoup à me plaindre des négligences et des fautes qui défigurent cette impression.

Il y a près de vingt ans que cette tragédie est connue2. Et quoique des personnes considérables m’eussent dit plusieurs fois que je ferais bien de la donner au public, j’y avais toujours résisté. Mais puisqu’enfin je ne suis plus maître d’empêcher qu’elle paraisse ainsi, je me trouve obligé à la faire paraître moi-même la moins défectueuse qu’il me sera possible.

J’ai cru que je devais non seulement la relire avec attention, mais encore me mettre en état de répondre aux objections qui furent faites d’abord contre cet ouvrage. Quelques-uns disaient que la vertu inflexible de Pénélope et son amour pour son mari ne pouvaient être {NP2} mis avec succès sur le théâtre3. On lui reprochait jusqu’à son âge4, sans égard pour le divin Homère qui avait pris soin de lui donner une âme exempte de l’injure des années.

Cela changea dans les représentations. Tout le monde convint que le sujet était bien choisi, et c’est de quoi je n’avais fait aucun doute ; mais il y eut des gens qui crurent que je ne l’avais pas bien traité, et ils avaient peut-être raison.

A dire vrai, il ne se rencontrait pas de médiocres difficultés à surmonter. Il n’était pas aisé de renfermer dans l’action d’un jour toute la matière d’un long poème épique, de conserver le merveilleux de la fable, en réduisant tout dans l’exacte vraisemblance ; de ne pas altérer les mœurs et le caractère des siècles antiques en les accommodant aux nôtres. J’ai tâché de garder la véritable idée des originaux. Je me suis servi autant que j’ai pu des pensées et des expressions d’Homère5, et j’ai pris quelques traits d’Ovide6 pour animer davantage les plaintes de Pénélope, sans lui donner une jalousie indigne d’une si sage reine.

Je délibérai si je donnerais de l’amour à Télémaque, peut-être ne lui en donnerais-je point si c’était à recommencer ; mais on n’osait encore en ce temps-là faire paraître au théâtre un jeune {NP 3} héros sans amour7. D’ailleurs cette passion telle que je l’ai représentée n’a rien de faible ni de blâmable ; et sans embarrasser les principaux mouvements de la scène, elle sert à faire mieux voir les nobles sentiments et le courage de ce jeune prince, qui ne balance point à quitter Iphise pour aller chercher son père, ni à renoncer aux espérances de son amour quand il s’agit de sa gloire et de son devoir8.

Je fondai le principal succès de cette tragédie sur les reconnaissances qui intéressent d’ordinaire si vivement9, et qui sont si essentielles et si nécessaires dans ce beau sujet. Je fus bien étonné lorsque j’entendis des censeurs qui faisaient des défauts de ce que j’avais pris pour les plus grandes beautés. Ils blâmèrent ces reconnaissances, et dirent qu’il y en avait trop10. Ils ne se souvenaient pas qu’il y en a une infinité dans Homère, dont je n’ai choisi qu’un petit nombre des plus touchantes.

Il est vrai que j’ai changé l’ordre, parce qu’il était à propos, ce me semble, pour la conduite du théâtre qu’Ulysse se découvrît à un vieux ministre d’une fidélité longuement éprouvée, plutôt qu’à Télémaque, qui était si jeune11.

Par là, j’ai ménagé de belles scènes. Et Ulysse suivant une sagesse mêlée de {NP4} défiance, qui était son vrai caractère, a le plaisir de pénétrer dans le cœur de son fils et de le bien connaître avant que de se découvrir à lui.

Il m’a fallu aussi changer le temps de la reconnaissance de Pénélope. Homère a pu la réserver à la fin, quand Ulysse a puni ses rivaux ; mais la tragédie a d’autres lois que le poème épique. Il n’y a plus rien à faire ni rien à dire au théâtre quand le calme et la joie y sont établis. Dès qu’Ulysse s’est vengé, et qu’il est hors de péril, il n’y a plus qu’à congédier les spectateurs. Il fallait donc ne pas attendre jusqu’à la catastrophe, pour l’obliger à se faire connaître12. Et je puis dire que j’ai su tirer un avantage de cette nécessité théâtrale. Il est bien plus touchant de voir Pénélope qui reconnaît Ulysse malheureux et dans un extrême péril, que si elle ne le reconnaissait qu’heureux et vainqueur.

Ceux qui ont approuvé toutes les reconnaissances ont cherché à décider du degré de leur mérite. Les uns disaient que la dernière13 n’est pas la plus touchante comme elle devait l’être ; les autres soutenaient qu’elle l’est en effet. Il est vrai qu’elle est la plus délicate et la plus difficile à bien représenter, et qu’elle demande un plus grand soin de la part des acteurs. La bienséance du théâtre ni {NP5} le caractère si sage de Pénélope ne permettent pas que cette reine embrasse Ulysse avec transport14 ; son extrême pudeur, comme le marque Homère, lui faisait craindre encore de se tromper, même en regardant son mari. Mais si l’on se représente que ses larmes et sa douleur l’empêchent d’abord de bien voir Ulysse, qu’elle sort de son accablement dès qu’elle entend cette voix qui lui est si chère, qu’elle balance dans sa surprise mêlée d’une tendre joie quand elle le reconnaît, et qu’enfin la douleur vient soudain se mêler à cette joie quand elle considère l’état déplorable et dangereux où elle voit Ulysse ; si on veut se donner la peine de suppléer avec cela les tons et les mouvements convenables, on accordera, si je ne me trompe, le premier degré à cette reconnaissance.

Que puis-je répondre à ceux qui ont dit que les deux premiers actes sont inférieurs aux derniers ? Je leur demanderai moi-même si ce n’est rien de marquer les divers caractères de tant de personnages, de développer leurs différents intérêts avec de l’ordre, de la netteté et même de la passion15. Ne faut-il pas que la force distribuée avec économie16 aille ainsi toujours en augmentant ? Tout ce qui suit doit dépendre nécessairement de ce qui précède. Depuis que Pénélope a ou{NP6}vert la scène, y a-t-il un vers qui n’ait rapport à Ulysse ? Il est vrai qu’il ne vient qu’au troisième acte, mais c’est par toutes les dispositions précédentes que son retour si désiré et si longtemps attendu excite dans l’assemblée ce transport et ces frémissements qui ne manquent point d’éclater dès qu’il paraît, et avant même qu’il ait parlé17.

Pour ce qui est des plaintes continuelles de Pénélope auxquelles on a aussi voulu trouver à redire, je ne sais pas si dans l’état où je la représente, elle peut faire autre chose que se plaindre18. On la voit toujours égale à elle-même19 ; mais il me semble que les plaintes, toujours variées selon les divers malheurs qu’elle éprouve incessamment, s’élèvent de degré en degré jusques au comble de la douleur20. Qu’on examine la plupart des anciennes tragédies, surtout le Philoctète : ce n’est qu’une seule plainte depuis le commencement jusqu’à la fin. Et cependant loin que cette uniformité ait paru blâmable chez les Grecs, elle a été estimée comme la plus grande marque de la force et de la fécondité du génie de Sophocle21.

Mais si ces éclaircissements ne satisfont pas à de semblables objections, je n’insisterai plus, et je consentirai, si l’on veut, qu’elles soient reçues pour bonnes. Il y en a d’autres qui me touchent bien da{NP7}vantage, et auxquelles je serais bien fâché de ne pouvoir répondre. Je parle sur les reproches qu’on me pourrait faire devant des juges dont je dois révérer l’autorité et les décisions. Je les supplie de me réserver un peu d’indulgence, et de ne condamner ni Pénélope ni moi sur la seule idée d’ouvrage de théâtre22. Je ne veux point renouveler ici les questions si souvent agitées au sujet de la tragédie, ni alléguer que son institution était moins pour divertir les hommes que pour les instruire ; que les grands génies de l’Antiquité ne songeaient à la rendre pathétique qu’afin de l’employer plus efficacement à réprimer les passions ; que le même philosophe qui parmi les anciens a donné les plus excellentes leçons de morale23 a donné les meilleures règles que nous ayons pour le théâtre24 ; et que parmi nous un ministre25, qui avait de si grandes vues et avait fait tant de réflexions sur la manière de conduire les hommes, s’appliquait à purifier le théâtre de tous les désordres qui y régnaient, et animait les meilleurs esprits à y mettre en pratique les leçons d’Aristote26. En un mot, quelques raisons et quelques exemples dont je pusse me servir, je ne m’engage point dans ces questions générales ; je ne cherche de justification que sur ce qui me regarde en particulier. Il me doit bien {NP8} suffire, sans porter mes prétentions plus loin, de voir excepter Pénélope de la censure, et qu’elle ne soit point condamnée par ceux qui ont droit de juger souverainement à mon égard. Elle a déjà des suffrages bien favorables. Un prélat qui est une des plus grandes lumières de l’Église et qui avait écrit lui-même contre le théâtre27, m’a dit, après avoir entendu lire28 plusieurs fois Pénélope, qu’il ne craindrait pas de lui donner son approbation, la regardant comme un ouvrage utile pour les mœurs29. Beaucoup de personnes également sages et habiles ont fait le même jugement, et j’ai la satisfaction de voir les témoignages que me rend ma conscience confirmés par ceux du public.

J’en ai obligation à Homère

Qui, quid sit pulchrum, quid turpe, quid utile, quid non
Plenius ac melius Chrysippo et Crantore dicit30.

Mon sujet m’a fourni l’idée de toutes les vertus qui sont l’âme de la société civile : les devoirs d’un fidèle sujet envers son roi, d’une illustre femme envers son mari, d’un fils généreux envers son père, tout cela enchaîné par des événements et des reconnaissances qui naissent simplement et naturellement dans le cours de l’action, et qui font toujours {NP9} les impressions les plus vives et les plus touchantes.

J’ose donc espérer que Pénélope sera lue avec quelque plaisir, et même quelque sorte d’utilité. J’ajouterai encore que tant qu’il y aura des théâtres, ce serait faire tort au public de confondre les écrivains qui n’ont dessein de plaire que par des exemples et des sentiments vertueux, avec les auteurs qui, pour de légers intérêts ou de vains applaudissements, ne craignent point d’entretenir des passions déréglées, ou de flatter la mollesse et la corruption31. Je n’ignorais pas que la plupart des spectateurs aiment des représentations qui autorisent les faiblesses humaines, et qui excitent ces dangereuses passions, dont les uns sont si ouvertement occupés et dont les autres ont toujours le principe caché dans le cœur32. J’ai bien voulu courir le risque de leur plaire moins. Je m’étais contenté de l’approbation d’un petit nombre choisi33. Et je suis en droit de demander à ceux qui auraient trouvé par là cet ouvrage moins agréable qu’ils reconnaissent que j’ai principalement cherché à le rendre utile ; je crois même qu’il y en aura parmi eux d’assez justes pour me savoir gré de ma bonne intention.