IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Les Visionnaires

Desmarets de Saint Sorlin, Jean

Éditeur scientifique : Charrié, Noëmie

Description

Auteur du paratexteDesmarets de Saint Sorlin, Jean

Auteur de la pièceDesmarets de Saint Sorlin, Jean

Titre de la pièceLes Visionnaires

Titre du paratexteArgument

Genre du textePréface

Genre de la pièceComédie

Date1637

LangueFrançais

ÉditionParis : Jean Camusat, 1637, in-12

Éditeur scientifiqueCharrié, Noëmie

Nombre de pages4

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55303536/f12

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Desmarets-Visionnaires-Argmt.xml

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Mise à jour2013-02-06

Mots-clés

Mots-clés français

GenreComédie

DramaturgieSubordination de l’intrigue à une galerie d’extravagants

ActionUnité minimale

Personnage(s)Capitan ; poète extravagant ; visionnaires ; amoureuse de la comédie

RéceptionPeuple (au sens de plebs) / honnête homme et grands ; ignorants / savants ; succès immédiat / postérité

FinalitéDivertissement honnête

ExpressionPointes ; sentences ; galimatias

Mots-clés italiens

GenereCommedia

DrammaturgiaIntreccio sottomesso a una galleria di stravaganti

AzioneUnità minima

Personaggio(i)Capitano ; poeta stravagante ; visionnari ; innamorata della commedia

RicezionePopolo (nel senso di plebs) / uomo colto e Grandi ; ignoranti / dotti ; successo immediato / posterità

FinalitàDivertimento onesto

EspressioneConcetti ; sentenze ; sproloquio

Mots-clés espagnols

GéneroComedia

DramaturgiaSubordinación de la intriga a una galería de extravagantes

AcciónUnidad mínima

Personaje(s)Capitán ; poeta extravagante ; visionarios ; enamorada de la comedia

RecepciónPueblo (con sentido de plebs) / ; hombre discreto y grandes ; ignorantes / doctos : éxito inmediato / posteridad

FinalidadEntretenimiento honesto

ExpresiónAgudezas ; sentencias ; galimatías

Présentation

Présentation en français

Écrit au plus fort de la Querelle du Cid, l’Argument des Visionnaires fait écho au massif des libelles farouchement opposés au parti des « cornéliens ». Commençant par exposer le sujet de sa pièce, qu’il distingue du topos asilaire dont usent fréquemment ses contemporains, Desmarets de Saint-Sorlin transforme sa préface en une véritable scène d’exposition. À travers une galerie de portraits, où comparaissent les personnages suivant leur ordre d’apparition scénique, le poète quadrille différentes figures de la déraison dans un dessein de critique morale, mais également dramatique. De fait, la représentation des « folies de vaine présomption » touchant au thème de l’activité lettrée lui permet de valoriser, a contrario, la convenance de sa propre pièce. À cet égard, le modèle des fables antiques paraît doublement discrédité. Relié aux archaïsmes stylistiques de la Pléiade ainsi qu’à la gouvernance des anciennes démocraties, il forme une extravagance conjointement poétique et politique. Or, et c’est là le positionnement implicite de l’auteur vis-à-vis de la Querelle, cette extravagance reflète selon lui la position du « peuple » au sein de la république des lettres. Alors que les partisans de Corneille défendent Le Cid en vertu de son succès « universel », c’est-à-dire à la cour comme à la ville, parmi les savants et les ignorants, Desmarets de Saint-Sorlin multiplie les attaques à l’encontre de cette définition (extensive) du « public ». Selon lui, l’arbitre et destinataire légitime du théâtre régulier est encore « l’honnête homme », qui se confond comme chez nombre de promoteurs du « modèle classique » avec le docte. À l’instar des personnages visionnaires, le « vulgaire » se voit investi de vertus et puissances qui lui font défaut. Incapable de formuler le moindre jugement esthétique, prisonnier de ses impressions sensibles, fasciné par la nouveauté, il ne peut, ni en fait, ni en droit, légiférer sur la production dramatique. Ainsi, Desmarets de Saint-Sorlin oppose à la satisfaction d’un plaisir commun – synonyme au XVIIe siècle de volonté et valorisé par Corneille dans le sillage de Castelvetro – l’appréciation raisonnée, sinon le magistère d’une élite savante et socialement choisie.

Texte

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ARGUMENT

[NP1] Dans cette comédie sont représentés plusieurs sortes d’esprit chimériques ou visionnaires1, qui sont atteints chacun de quelque folie particulière ; mais c’est seulement de ces folies pour lesquelles on ne renferme personne2, et tous les jours nous voyons parmi nous des esprits semblables, qui pensent pour le moins d’aussi grandes extravagances3, s’ils ne les disent4.

Le premier est un capitan5, qui veut qu’on le croie fort vaillant ; toutefois il est poltron à un tel point qu’il est réduit à craindre la fureur d’un poète, laquelle il estime une chose bien redoutable ; et est si ignorant, qu’il prend toutes ses façons de parler poétiques et étranges, pour des noms de démons, et des paroles magiques.

Le second est un poète bizarre, sectateur6 passionné des poètes français qui vivaient devant ce siècle7, lesquels semblaient par leurs termes ampoulés et obscurs, avoir dessein d’épouvanter le monde8, étant si aveuglément amoureux de l’Antiquité, qu’il ne considéraient pas que ce qui était bon à dire parmi les Grecs et les Romains, imbus des diverses appellations de leurs Dieux, et des particularités de leur religion, dont les fables étaient le fondement, n’est pas si facilement entendu par ceux de ce temps, et qu’il faut bien adoucir ces termes quand on en a besoin, soit aux allégations des fables, ou en d’autres rencontres9. Celui-ci, par la lecture de ces poètes, s’est formé un style poétique si extravagant, qu’il croit que plus il se relève en mots composés et en hyperboles, plus il atteint la perfection de la poésie ; dont il fait même des règles à sa mode, principalement pour les pièces de théâtre, en quoi il pense être fort habile : témoin un sujet qu’il compose sur le champ, dont l’immensité et la confusion font voir le défaut de son jugement10. Il ne laisse pas d’avoir assez d’esprit pour se jouer d’un sot qui se mêle d’aimer les vers sans y rien connaître11.

Le troisième est un de ceux dont le nombre est si grand, qui se piquent d’aimer les vers sans les entendre, font des admirations sur des choses de néant, et passent12 ce qui est de meilleur, et prennent des galimatias en termes re[NP2]levés pour quelques belles sentences, et pour les plus grands efforts de la poésie. Ces sortes d’esprits, pourvu que les vers semblent graves, ne manquent point de les approuver, sans penser seulement à les entendre. Mais il n’y a rien de plus ordinaire que de voir ces mêmes idiots, qui veulent faire croire qu’ils ont l’esprit sensible et délicat, et qu’ils savent aimer tout ce qui est beau13, s’imaginer comme celui-ci, qu’ils sont amoureux, sans savoir bien souvent de qui ; et sur le récit que l’on leur fait de quelque beauté, courir les rues, et se persuader qu’ils sont extrêmement passionnés, sans avoir vu ce qu’ils aiment.

Le quatrième est un riche imaginaire14, dont il se trouve assez par le monde, et de qui la folie ne paraît qu’au cinquième acte : car dans les autres il parle sérieusement de ses richesses, comme il paraît dans la description de sa belle maison15, où il ne se trouve rien d’extravagant, et qui ne soit imaginé selon la vraisemblance – étant une chose ordinaire que chacun est sérieux dans sa folie.

L’amante d’Alexandre n’est pas une chose sans exemple ; et il y a beaucoup de filles, qui par la lecture des histoires et des romans, se sont éprises de certains héros, dont elles rebattaient les oreilles à tout le monde, et pour l’amour desquels elles méprisaient tous les vivants.

Est-il rien de plus ordinaire que de voir des filles de l’humeur de la seconde, qui se croit être aimée de tous ceux qui la regardent, ou qui entendent parler d’elle, bien que peut-être elles ne disent pas si naïvement leurs sentiments16.

Pour la troisième sœur, il s’en trouve beaucoup, comme elle, amoureuses de la comédie17, à présent qu’elle est si fort en règne, particulièrement de celles qui se mêlent d’en juger, d’en savoir les règles, d’inventer des sujets selon la portée de leurs esprits, tels que celui que récite celle-ci, dans lequel il y a plus de matière qu’il n’en faudrait pour vingt comédies ; encore ne sait-on que le troisième acte, et si18 la pièce a duré déjà pour le moins trente ans : toutefois on peut voir les véritables règles dans l’opinion des critiques qu’elle allègue au poète pour en avoir son avis19, qui sont celles20 que l’on doit suivre, encore que ces deux extravagantes personnes n’en demeurent pas d’accord.

[NP3] Le père de ces trois filles n’est guère plus sage qu’elles. Il est d’une humeur si facile21, que tout homme qui se présente pour avoir en mariage l’une de ses filles, lui semble toujours être son fait : qu’un autre vienne après, il trouve encore que c’est ce qu’il lui faut ; et pour en accepter trop, il s’embarrasse tellement qu’il ne sait ce qu’il doit faire à la fin de la pièce, dont le démêlement22 se fait par un de ses parents, qui est le seul qui soit raisonnable entre tous ces personnages.

Toutes ces folies, bien que différentes, ne font ensemble qu’un sujet23, et pour les bien représenter toutes, on ne pouvait pas leur donner une liaison aussi grande que celle qui se peut donner aux comédies où n’agissent que deux ou trois principaux personnages ; et l’intrigue de celle-ci n’est qu’en l’embarrassement du bon homme qui lui est causé par tous les gendres qu’il a acceptés : le reste n’est soutenu que des extravagances de ces visionnaires qui se mêlent encore ensemble en quelque sorte, pour faire mieux paraître ces folies les unes par les autres24.

Quelques-uns ont voulu reprendre cette comédie, de ce qu’elle n’était pas propre pour toutes sortes de gens, et que ceux qui n’ont aucun savoir n’en pouvaient entendre beaucoup de mots. Mais depuis quand les ignorants sont-ils devenus si considérables en France, que l’on doive tant s’intéresser pour eux, et que l’on soit obligé d’avoir soin de leur plaire25 ? Pensez que l’on doit bien du respect, ou à la bassesse de leur condition, ou à la dureté26 de leurs esprits, ou au mépris qu’ils ont fait des lettres, pour faire que l’on songe à les divertir ! Nous ne sommes pas dans ces républiques, où le peuple donnait les gouvernements et les charges ; où les poètes étaient contraints de composer, ou des tragédies horribles, pour plaire à leur goût bizarre, ou des comédies basses, pour s’accommoder à la portée de leurs esprits27. Ceux qui ne composent des ouvrages que par un honnête divertissement, ne doivent avoir pour but que l’estime des honnêtes gens ; et c’est à leur jugement qu’ils adressent toutes leurs inventions et leurs pensées. Le peuple a l’esprit si grossier et si extravagant, qu’il n’aime que des nouveautés grotesques. Il courra bien plutôt en foule pour voir un monstre, que pour voir quelque [NP4] chef-d’œuvre de l’art, ou de la nature. Je crois même qu’il y a des poètes, qui pour contenter le vulgaire, font à dessein des pièces extravagantes, pleines d’accidents bizarres, de machines extraordinaires28, et d’embrouillements de scènes, et qui affectent des vers enflés et obscurs, et des pointes ridicules au plus fort des passions : car pourvu que les accidents soient étranges29, tout ce qui se dit sur leur sujet plaît au peuple, et encore plus si c’est quelque pensée pointue et embarrassée, car alors moins il l’entend, plus il la loue, et lui donne d’applaudissements. Ce sont des esprits fort avisés qui ne songent qu’à cette vie présente, et qui sont si modérés, qu’ils n’affectent point la vie future des ouvrages, dont les seuls savants sont les distributeurs. Mais encore ne doit-on pas trouver étrange si ceux qui ne sont pas tenus d’avoir ces considérations pour le peuple, et qui ne songent qu’à satisfaire les premiers esprits de l’Europe30, ne cherchent que les pures délicatesses de l’art, soit à représenter les nobles et véritables mouvements des passions dans les sujets sérieux, soit à réjouir les spectateurs par des railleries gentilles et honnêtes dans les comiques31. Après que les personnes raisonnables seront satisfaites, il en restera encore assez pour les autres, et plus qu’ils n’en méritent. C’est ainsi qu’il arrive des festins qui se font aux Grands32: après qu’ils ont fait leur repas il n’en reste que trop encore pour les valets ; et bien que les viandes33 n’aient pas été apprêtées au goût de ces derniers, ils ne laissent pas d’en faire bonne chère ; et l’on aurait tort d’accuser le cuisinier d’une faute si l’un d’eux se plaignait, que l’on devait avoir eu égard à son goût, plutôt qu’à celui des maîtres. Aussi, ayant introduit un poète extravagant, on ne doit pas se plaindre de ce qu’on le fait parler en termes poétiques extravagants ; et il importe fort peu que les ignorants l’entendent ou non, puisque cela n’a pas été apprêté pour eux. C’est être bien déraisonnable, d’accuser d’obscurité celui qui dans la bouche du poète s’est voulu moquer de l’obscurité des anciennes poésies.

Ce n’est pas pour toi que j’écris,
Indocte et stupide vulgaire :
J’écris pour les nobles esprits.
Je serais marri de te plaire34.