IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Sertorius, tragédie.

Corneille (Pierre)

Éditeur scientifique : Louvat-Molozay, Bénédicte

Description

Auteur du paratexteCorneille (Pierre)

Auteur de la pièceCorneille (Pierre)

Titre de la pièceSertorius, tragédie.

Titre du paratexteAu lecteur

Genre du textePréface

Genre de la pièceTragédie

Date1662

Languefrançais

ÉditionRouen, et se vend à Paris, chez Augustin Courbé et Guillaume de Luyne, 1662, in-12

Éditeur scientifiqueLouvat-Molozay, Bénédicte

Nombre de pages8

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70454f/f3.image

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/CorneilleSertoriusPreface.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/CorneilleSertoriusPreface.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/CorneilleSertoriusPreface.odt

Mise à jour2016-05-10

Mots-clés

Mots-clés français

SourcesHistoriques

DramaturgieÉléments vrais / éléments vraisemblables ; fidélité et liberté par rapport à l’Histoire

LieuUnité de lieu ; incommodité de la règle

TempsUnité de temps ; concentration temporelle ; liberté du poète quant à l’ordre et à la durée des événements

Personnage(s)Personnages féminins inventés compatibles avec l’Histoire ; nom des personnages

RéceptionSuccès ; succès de l’entretien de Pompée et de Sertorius

AutrePompée ; Sylla ; Sertorius ; Viriate

Mots-clés italiens

FontiStoriche

DrammaturgiaElementi veri / verosimili ; fedeltà e libertà rispetto alla Storia

LuogoUnità di luogo ; regola scomoda

TempoUnità di tempo ; concentrazione temporale ; libertà del poeta rispetto all’ordine e alla durata degli avenimenti

Personaggio(i)Personaggi feminili inventati compatibili con la Storia ; nome dei personaggi

RicezioneSucesso ; sucesso del colloquio tra Pompeio e Sertorio

AltriPompeio ; Silla ; Sertorio ; Viriato

Mots-clés espagnols

FuentesHistóricas

DramaturgiaElementos verdaderos / elementos verosímiles ; fidelidad y libertad respecto a la Historia

LugarUnidad de lugar ; incomodidad de la regla

TiempoUnidad de tiempo ; concentración temporal ; libertad del poeta respecto al orden y a la duración de los acontecimientos

Personaje(s)Personajes femeninos inventados compatibles con la Historia ; nombre de los personajes

RecepciónÉxito ; éxito de la entrevista de Pompeyo con Sertorio

OtrasPompeyo ; Sertorio ; Viriato ; Sila

Présentation

Présentation en français

Avec Sertorius s’ouvre une nouvelle et dernière période de l’histoire du paratexte cornélien : en 1660, Corneille avait composé pour chacune de ses pièces un examen, qu’il avait substitué au(x) paratexte(s) antérieur(s) ; l’ensemble de l’œuvre était divisée en trois volumes, précédés chacun d’un « Discours » et de la série des examens des pièces contenues dans le volume. Après cette date, le dramaturge renonce à la pratique de l’examen, mais ses préfaces sont nourries par l’extraordinaire outillage théorique des Discours et examens. C’est ce qui apparaît dans l’avis « Au lecteur » de Sertorius, la première tragédie à sujet romain composée par Corneille après l’échec de Pertharite dix ans plus tôt.

Le propos trouve son unité autour d’une réflexion sur les infléchissements apportés aux données historiques, envisagés tour à tour depuis l’atelier du dramaturge, qui doit coudre éléments inventés mais compatibles avec l’Histoire et éléments reçus et depuis la perception qu’en peut avoir le spectateur : la marge de manœuvre du poète n’est en effet pas la même selon qu’il traite d’événements historiques majeurs et connus de tous ou d’événements plus marginaux. Comme à son habitude, Corneille évoque en outre les règles, et nommément les unités de temps et de lieu, en des termes ambigus : incommodes, elles donnent pourtant au dramaturge la liberté de presser les événements et de ne pas respecter scrupuleusement l’Histoire.

Il est à noter enfin qu’une partie des développements qui figurent dans cette préface avaient été rodés dans un cadre plus confidentiel : une lettre à l’abbé de Pure datée du 3 novembre 1661, alors que Corneille était en train d’achever le troisième acte de sa pièce, lettre qui constitue la matrice du paratexte de 1662.

Texte

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AU LECTEUR

{NP 1} Ne cherchez point dans cette tragédie les agréments qui sont en possession de faire réussir au théâtre les poèmes de cette nature ; vous n’y trouverez ni tendresses d’amour, ni emportements de passion, ni descriptions pompeuses, ni narrations pathétiques1. Je puis dire toutefois qu’elle n’a point déplu, et que la dignité des noms illustres2, la grandeur de leurs intérêts, et la nouveauté de quelques caractères ont suppléé au manque de ces grâces. Le sujet est simple3, et du nombre de ces événements connus, où il ne nous est pas permis de rien changer, qu’autant que la nécessité indispensable de les réduire dans la règle, nous force d’en resserrer les temps et les lieux4. Comme il ne m’a fourni aucunes5 femmes, j’ai été obligé de recourir à l’invention pour en introduire deux, assez compatibles l’une et l’autre avec les vérités histori{NP 2}ques à qui je me suis attaché. L’une a vécu de ce temps-là. C’est la première femme de Pompée, qu’il répudia pour entrer dans l’alliance de Sylla, par le mariage d’Émilie fille de sa femme6. Ce divorce est constant7 par le rapport de tous ceux qui ont écrit la vie de Pompée8, mais aucun d’eux ne nous apprend ce que devint cette malheureuse, qu’ils appellent tous Antistie, à la réserve d’un Espagnol évêque de Gironne9, qui lui donne le nom d’Aristie, que j’ai préféré comme plus doux à l’oreille. Leur silence m’ayant laissé liberté entière de lui faire un refuge, j’ai cru ne lui en pouvoir choisir un avec plus de vraisemblance, que chez les ennemis de ceux qui l’avaient outragée. Cette retraite en a d’autant plus, qu’elle produit un effet véritable, par les lettres des principaux de Rome que je lui fais porter à Sertorius, et que Perpenna remit entre les mains de Pompée, qui en usa comme je le marque10. L’autre femme est une pure idée de mon esprit, mais qui ne laisse pas d’avoir aussi quel{NP 3}que fondement dans l’Histoire11. Elle nous apprend que les Lusitaniens appelèrent Sertorius d’Afrique, pour être leur chef contre le parti de Sylla ; mais elle ne nous dit point s’ils étaient en république, ou sous une monarchie. Il n’y a donc rien qui répugne à leur donner une reine, et je ne la pouvais faire sortir d’un rang plus considérable, que celui de Viriatus12 dont je lui fais porter le nom, le plus grand homme que l’Espagne ait opposé aux Romains, et le dernier qui leur a fait tête dans ces provinces avant Sertorius. Il n’était pas roi en effet, mais il en avait toute l’autorité, et les préteurs et consuls que Rome envoya pour le combattre, et qu’il défit souvent, l’estimèrent assez pour faire des traités de paix avec lui, comme avec un souverain et juste ennemi. Sa mort arriva soixante et huit ans avant celle que je traite ; de sorte qu’il aurait pu être aïeul ou bisaïeul de cette reine que je fais parler ici.

Il fut défait par le consul Q. Servi{NP 4}lius, et non par Brutus, comme je l’ai fait dire à cette princesse, sur la foi de cet évêque espagnol que je viens de citer et qui m’a jeté dans l’erreur après lui. Elle est aisée à corriger par le changement d’un mot dans ce vers unique qui en parle, et qu’il faut rétablir ainsi.

Et de Servilius l’Astre prédominant13.

Je sais bien que Sylla, dont je parle tant dans ce poème, était mort six ans avant Sertorius14, mais à le prendre à la rigueur, il est permis de presser les temps pour faire l’unité de jour, et pourvu qu’il n’y ait point d’impossibilité formelle, je puis faire arriver en six jours, voire en six heures, ce qui s’est passé en six ans15. Cela posé, rien n’empêche que Sylla ne meure avant Sertorius, sans rien détruire de ce que je dis ici, puisqu’il a pu mourir depuis qu’Arcas est parti de Rome pour apporter la nouvelle de la démission de sa dictature16, ce qu’il fait en même temps que Sertorius est assassiné. Je dis de plus, que bien que nous devions être assez scrupuleux ob{NP 5}servateurs de l’ordre des temps, néanmoins pourvu que ceux que nous faisons parler se soient connus, et aient eu ensemble quelques intérêts à démêler, nous ne sommes pas obligés à nous attacher si précisément à la durée de leur vie17. Sylla était mort quand Sertorius fut tué18, mais il pouvait vivre encore sans miracle, et l’auditeur, qui communément n’a qu’une teinture superficielle de l’histoire, s’offense rarement d’une pareille prolongation qui ne sort point de la vraisemblance. Je ne voudrais pas toutefois faire une règle générale de cette licence, sans y mettre quelque distinction19. La mort de Sylla n’apporta aucun changement aux affaires de Sertorius en Espagne, et lui fut de si peu d’importance, qu’il est malaisé, en lisant la vie de ce héros chez Plutarque, de remarquer lequel des deux est mort le premier, si l’on n’en est instruit d’ailleurs20. Autre chose est de celles qui renversent les États, détruisent les partis, et donnent une autre face aux affaires, comme a été celle de Pompée, qui ferait ré{NP 6}volter tout l’auditoire contre un auteur, s’il avait l’impudence de la remettre après celle de César. D’ailleurs il fallait colorer21 et excuser en quelque sorte la guerre que Pompée et les autres chefs romains continuaient contre Sertorius ; car il est assez malaisé de comprendre pourquoi l’on s’y obstinait, après que la république semblait être rétablie par la démission volontaire et la mort de son tyran. Sans doute que son esprit de souveraineté qu’il avait fait revivre dans Rome n’y était pas mort avec lui ; et que Pompée et beaucoup d’autres, aspirant dans l’âme à prendre sa place, craignaient que Sertorius ne leur y fût un puissant obstacle, ou par l’amour qu’il avait toujours pour sa patrie, ou par la grandeur de sa réputation, et le mérite de ses actions qui lui eussent fait donner la préférence, si ce grand ébranlement de la république ne l’eût mise en état de ne se pouvoir passer de maître. Pour ne pas déshonorer Pompée par cette jalousie secrète de son am{NP 7}bition, qui semait dès lors ce qu’on a vu depuis éclater si hautement, et qui peut-être était le véritable motif de cette guerre, je me suis persuadé qu’il était plus à propos de faire vivre Sylla, afin d’en attribuer l’injustice à la violence de sa domination. Cela m’a servi de plus à arrêter l’effet de ce puissant amour que je lui fais conserver pour son Aristie, avec qui il n’eût pu se défendre de renouer, s’il n’eût eu rien à craindre du côté de Sylla, dont le nom odieux, mais illustre, donne un grand poids aux raisonnements de la politique, qui fait l’âme de toute cette tragédie22.

Le même Pompée semble s’écarter un peu de la prudence d’un général d’armée, lorsque sur la foi de Sertorius il vient conférer avec lui dans une ville, dont ce chef du parti contraire est maître absolu ; mais c’est une confiance de généreux à généreux, et de Romain à Romain, qui lui donne quelque droit de ne craindre aucune supercherie de la part d’un si grand homme. {NP 8} Ce n’est pas que je ne veuille bien accorder aux critiques qu’il n’a pas assez pourvu à sa propre sûreté, mais il m’était impossible de garder l’unité de lieu, sans lui faire faire cette échappée, qu’il faut imputer à l’incommodité de la règle, plus qu’à moi qui l’ai bien vue23. Si vous ne voulez la pardonner à l’impatience qu’il avait de voir sa femme dont je le fais encore si passionné, et à la peur qu’elle ne prît un autre mari, faute de savoir ses intentions pour elle, vous la pardonnerez au plaisir qu’on a pris à cette conférence24, que quelques-uns des premiers dans la cour, et pour la naissance, et pour l’esprit, ont estimée autant qu’une pièce entière. Vous n’en serez pas désavoué par Aristote, qui souffre qu’on mette quelquefois des choses sans raison sur le théâtre25, quand il y a apparence qu’elles seront bien reçues, et qu’on a lieu d’espérer que les avantages que le poème en tirera pourront mériter cette grâce.