IdT – Les idées du théâtre


 

Dédicace

Médée

Corneille, Pierre

Éditeur scientifique : Souchier, Marine

Description

Auteur du paratexteCorneille, Pierre

Auteur de la pièceCorneille, Pierre

Titre de la pièceMédée

Titre du paratexteÀ Monsieur P. T. N. G.

Genre du texteDédicace

Genre de la pièceTragédie

Date1639

LangueFrançais

ÉditionParis : François Targa, 1639, in-4°

Éditeur scientifiqueSouchier, Marine

Nombre de pages4

Adresse sourcehttp://gallicalabs.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71339h.r=

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/CorneilleMedeeDedicace.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/CorneilleMedeeDedicace.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/CorneilleMedeeDedicace.odt

Mise à jour2016-03-24

Mots-clés

Mots-clés français

DramaturgieRespect des règles ; vraisemblance ; bienséance

Personnage(s)Ethos ; mœurs ; monstrueux ; exemple ; ressemblance ou fidélité au modèle

RéceptionSuccès

FinalitéPlaisir

MetadiscoursRefus d’une préface théorique

Mots-clés italiens

DrammaturgiaRispetto delle regole ; verosimiglianza ; decoro

Personaggio(i)Ethos ; costumi ; mostruoso ; esempio ; somiglianza o rispetto del modello

RicezioneSuccesso

FinalitàDiletto

MetadiscorsoRifiuto di una prefazione teorica

Mots-clés espagnols

DramaturgiaRespeto de los preceptos ; verosimilitud ; decoro

Personaje(s)Ethos ; costumbres ; monstruoso ; ejemplo ; semejanza o fidelidad al modelo

RecepciónÉxito

FinalidadPlacer

MetadiscursoRechazo de un prólogo teórico

Présentation

Présentation en français

C’est en 1635, au théâtre du Marais, que Corneille donne Médée, sa première tragédie. Elle connaît un succès non négligeable et confirme l’ascension du jeune dramaturge qui, à 29 ans, en est déjà à sa septième pièce.

Médée n’est publiée qu’en 1639, en même temps que L’Illusion comique. Entre-temps, le succès de Corneille s’est transformé en triomphe, avec le retentissement du Cid, créé en janvier 1637, et la querelle qui l’a suivi durant la même année. Pendant une dizaine de mois, la république des lettres a été agitée de débats esthétiques intenses1. La publication des Sentiments de l’Académie française sur la tragi-comédie du Cid2 met fin à ces débats et tranche en faveur des opposants de Corneille. Le Cid subit un long examen au sein duquel Corneille se voit reprocher d’avoir négligé bienséance et vraisemblance, et d’avoir versé dans l’immoralité. Au yeux de la jeune Académie, le succès de la pièce ne saurait excuser ses défaillances théoriques.

La dédicace « À Monsieur P. T. N. G. », destinataire probablement fictif, constitue la première prise de parole de Corneille après la querelle. C’est l’occasion pour lui de réaffirmer son esthétique.

Dans ce texte centré sur la dimension immorale et monstrueuse du personnage éponyme, Corneille revendique un rapport direct à son public, dont il refuse d’encadrer le jugement par une préface théorique qui convoquerait règles et autorités, autant de médiations entre la pièce et le lecteur. En affectant de ne pas vouloir défendre Médée sur le plan esthétique, il en place la justification dans la satisfaction du public, seul gage de réussite valable à ses yeux. Le plaisir du lecteur ou du spectateur est pour Corneille la véritable fin de la poésie dramatique, ce qui le conduit à défendre une vision « amorale »3 du théâtre : le but du dramaturge n’est pas d’instruire, mais de faire éprouver des émotions. La moralité ne saurait donc être une contrainte pour l’auteur dans le choix de son sujet.

Les règles ne doivent pas le gêner davantage : Corneille n’y voit ni une nécessité, ni une fin, mais bien plutôt un moyen. C’est un outil utile au praticien du théâtre pour parvenir à la satisfaction du public. La bienséance et la vraisemblance ne sont donc convoquées que pour être rejetées : l’auteur leur préfère la fidélité à sa source, qu’elle soit historique, comme dans Le Cid, ou mythologique, comme dans Médée. Le vrai prime sur le vraisemblable. Car Corneille a choisi un sujet extraordinaire, dont le personnage monstrueux de l’infanticide permet de déclencher de fortes émotions chez le spectateur4.

En somme, deux ans après la querelle du Cid, Corneille persiste et signe : loin de s’amender, il confirme tant son esthétique du sujet extraordinaire que son rapport aux règles et à la morale, tous deux liés à un même objectif : la satisfaction du public5.

Texte

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À MONSIEUR P. T. N. G.                 

{NP 1} MONSIEUR,

Je vous donne Médée toute méchante6 qu’elle est, et ne vous dirai rien pour sa justification. Je vous la donne pour telle que vous la voudrez prendre, sans tâcher à prévenir7, ou violenter vos sentiments {NP 2} par un étalage des préceptes de l’art8 qui doivent être fort mal entendus, et fort mal pratiqués quand ils ne nous font pas arriver au but que l’art se propose9. Celui de la poésie dramatique est de plaire, et les règles qu’elle nous prescrit ne sont que des adresses pour en faciliter les moyens au poète, et non pas des raisons qui puissent persuader aux spectateurs qu’une chose soit agréable, quand elle leur déplaît10. Ici vous trouverez le crime en son char de triomphe11, et peu de personnages sur la scène dont les mœurs ne soient plus mauvaises que bonnes12 ; mais la peinture et la poésie ont cela de commun entre beaucoup d’autres choses, que l’une fait souvent de beaux portraits d’une femme laide, et l’autre de belles imitations d’une action qu’il ne faut pas imiter13. Dans la portraiture il n’est pas question si un visage est beau, mais s’il ressemble, et dans la poésie il ne faut pas considérer si les {NP 3} mœurs sont vertueuses, mais si elles sont pareilles à celles de la personne qu’elle introduit14. Aussi nous décrit-elle indifféremment les bonnes et les mauvaises actions sans nous proposer les dernières pour exemple, et si elle nous en veut faire quelque horreur, ce n’est point par leur punition qu’elle n’affecte pas de nous faire voir, mais par leur laideur qu’elle s’efforce de nous représenter au naturel15. Il n’est pas besoin d’avertir ici le public que celles de cette tragédie ne sont pas à imiter : elles paraissent assez à découvert pour n’en faire envie à personne. Je n’examine point si elles sont vraisemblables ou non, cette difficulté qui est la plus délicate de la poésie, et peut-être la moins entendue16, demanderait un discours trop long pour une épître : il me suffit qu’elles sont autorisées ou par la vérité de l’histoire, ou par l’opinion commune des anciens17. Elles vous ont agréé autrefois sur le {NP 4} théâtre, j’espère qu’elles vous satisferont encore sur le papier, et demeure

MONSIEUR,

Votre très humble serviteur

CORNEILLE.