IdT – Les idées du théâtre


 

Préface

Horace

Corneille, Pierre

Éditeur scientifique : Michel, Lise

Description

Auteur du paratexteCorneille, Pierre

Auteur de la pièceCorneille, Pierre

Titre de la pièceHorace

Titre du paratexteExamen

Genre du textePréface

Genre de la pièceTragédie

Date1660

Languefrançais

ÉditionLe Théâtre de P. Corneille revu et corrigé par l’auteur, II. Partie, Paris : A. Courbé et G. de Luyne, 1660, in-8°

Éditeur scientifiqueMichel, Lise

Nombre de pages8

Adresse sourceNon numérisé. Cote BnF RES- YF- 2985

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/CorneilleHoraceExamen.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/CorneilleHoraceExamen.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/CorneilleHoraceExamen.odt

Mise à jour2016-06-14

Mots-clés

Mots-clés français

SujetViolence des sujets ; noyau minimal de la fable

DramaturgieSang sur la scène ; vraisemblance historique ; liaison des scènes ; oracle ; songe protatique ; surprise ; action / narration ; fidélité aux mœurs historiques / adaptation aux mœurs contemporaines

LieuEntorses à la vraisemblance de l’action pour respecter l’unité de lieu

TempsAction non pressée

ActionAction complète (début, milieu, fin) ; préparation de l’action ; dualité d’action ; unité (de péril) ; intégration du personnage secondaire à l’action principale ; motivation des actions

Personnage(s)Constance du personnage / de l’importance dramaturgique du personnage ; vraisemblance du personnage comme cohérence avec l’Histoire ; ethos du personnage royal

ComédiensFaute de la comédienne

ReprésentationJeu du comédien/intentions de l’auteur ; didascalies

RéceptionChute

FinalitéEffet pathétique

AutreHorace ; Sénèque (Médée) ; Sophocle (Ajax)

Mots-clés italiens

ArgomentoViolenza degli argomenti ; nucleo della favola

DrammaturgiaSangue sul palcoscenico ; verosimiglianza storica ; legami tra le scene ; oracolo ; sogno protatico ; sorpresa ; azione / narrazione ; fedeltà ai costumi storici / adattamento ai costumi contemporanei.

LuogoLibertà rispetto alla verosimiglianza dell’azione per poter rispettare l’unità di luogo

TempoAzione non precipitata

AzioneAzione completa ; preparazione dell’azione ; dualità d’azione ; unità (di pericolo) ; integrazione del personaggio secondario all’azione principale ; motivazione delle azioni

Personaggio(i)Costanza del personaggio / dell’importanza drammaturgica del personaggio ; verosimiglianza del personaggio come coerenza con la Storia ; ethos del personaggio reale

AttoriErrore dell’attrice

RappresentazioneRecitazione del attore / intenzioni dell’autore ; didascalie

RicezioneFallimento

FinalitàEffetto patetico

AltriOrazio ; Seneca (Medea) ; Sofocle (Ajace)

Mots-clés espagnols

TemaViolencia de los sujetos ; núcleo mínimo de la fábula

DramaturgiaSangre en el escenario ; verosimilitud histórica ; enlace de las escenas, oráculo, sueno protático ; sorpresa ; acción / narración ; fidalidad a las costumbres históricas / adaptación a las costumbres contemporáneas

LugarInfracción la verosimilitud de la acción para respetar la unidad de lugar

TiempoAcción no apresurada

AcciónAcción completa (principio, medio, final) ; preparación de la acción ; dualidad de la acción ; unidad (de peligro) ; integración del personaje secundario a la acción principal ; motivación de las acciones

Personaje(s)Constancia del personaje / de la importancia dramatúrgica del personaje ; verosimilitud del personaje como coherencia con la Historia ; ethos del personaje Real

Actor(es)Error de la actriz

RepresentaciónActuación del actor/ intenciones del autor ; didascalias

RecepciónCaída

FinalidadEfecto patético

OtrasHoracio ; Séneca (Medea) ; Sófocles (Ayax)

Présentation

Présentation en français

Dans l’Examen d’Horace, paru dans le second volume de ses œuvres en 1660, Corneille répond, dans le cadre d’une évaluation plus générale de sa tragédie, aux reproches formulés par ses confrères lors de la création de la pièce vingt ans plus tôt1, et dont La Pratique du théâtre, publiée en 1657, s’était fait un écho récent.

La question de la légitimité, sur le plan dramaturgique, du meurtre de Camille par son frère Horace occupe près de la moitié de cet Examen. S’il concède, avec ses contradicteurs, que le défaut principal de sa pièce gît dans cette scène, le dramaturge tient à préciser la nature exacte de la faute, qu’il refuse de considérer avec eux comme une infraction à la bienséance, encore moins comme un mauvais choix de sujet. Après avoir imputé à l’actrice et non au texte la responsabilité d’avoir « ensanglanté la scène », il rend raison de l’invention de cette action en alléguant les autorités antiques. Par ailleurs, le meurtre de Camille par Horace faisant partie des données minimales de la fable, il ne saurait être retranché. C’est dans le domaine de la disposition uniquement que Corneille reconnaît trois erreurs : d’une part, la préparation du meurtre n’est pas suffisante ; d’autre part, cet événement entraîne une duplicité de péril, donc d’action2 ; enfin, les conséquences d’une telle action conduisent à inverser dans les deux derniers actes l’importance dramaturgique de Camille et de Sabine, problème que Corneille range sous la catégorie de l’inconstance des personnages.

La tragédie est ensuite envisagée sous l’angle du respect des unités : l’exigence du lieu unique, notamment, a entraîné quelques aménagements à un autre niveau de vraisemblance, celui de la logique des actions. La pièce est présentée comme meilleure que Le Cid sur deux points au moins : le personnage de Sabine est ici heureusement intégré à l’action alors que, par son statut secondaire, il présentait le risque d’être aussi peu attaché au reste de la pièce que l’avait été l’Infante ; le personnage du roi, quant à lui, est bien plus conforme que son homologue Fernand à la dignité qu’appelle son ethos. En établissant une distinction entre l’usage de l’oracle et celui du songe protatique, et en analysant l’effet de suspens produit par la narration du combat des Horace et des Curiace au troisième acte, Corneille se montre particulièrement sensible à l’esthétique de la surprise vraisemblable. Après avoir déploré la disposition trop discursive du cinquième acte, il justifie toutefois ici encore l’action sur le plan de l’invention. Répondant enfin à une accusation formulée par d’Aubignac, il réaffirme la conformité de l’accusation portée par Valère avec la vraisemblance historique, contre une dramaturgie qui prônerait l’adaptation du comportement des personnages aux mœurs du public.

Texte

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[EXAMEN D’]HORACE                

{lxxix} C’est une croyance assez générale que cette pièce pourrait passer pour la plus belle des miennes, si les derniers actes répondaient aux premiers. Tous veulent que la mort de Camille en gâte la fin3, et j’en demeure d’accord ; mais je ne sais si tous en savent la raison. On l’attribue communément à ce qu’on voit cette mort {lxxx} sur la scène ; ce qui serait plutôt la faute de l’actrice que la mienne, parce que, quand elle voit son frère mettre l’épée à la main, la frayeur si naturelle au sexe lui doit faire prendre la fuite, et recevoir le coup derrière le théâtre, comme je le marque dans cette impression4. Si5 c’est une règle de ne le point ensanglanter, elle n’est pas du temps d’Aristote, qui nous apprend que pour émouvoir puissamment, il faut de grands déplaisirs, des blessures et des morts en spectacle6. Horace ne veut pas que nous y hasardions les événements trop dénaturés, comme de Médée qui tue ses enfants7, mais je ne vois pas qu’il en fasse une règle générale pour toutes sortes de morts, ni que l’emportement d’un homme passionné pour sa patrie, contre une sœur qui la maudit en sa présence avec des imprécations horribles, soit de même nature que la cruauté de cette mère8. Sénèque l’expose aux yeux du peuple9 en dépit d’Horace, et chez Sophocle, Ajax ne se cache point aux spectateurs lorsqu’il se tue10. L’adoucissement que j’ai apporté pour rectifier11 la mort de Clytemnestre ne peut être propre ici à celle de Camille. Quand elle s’enferrerait d’elle-même par désespoir en voyant son frère l’épée à la main, ce frère ne laisserait pas d’être criminel de l’avoir tirée contre elle, puisqu’il n’y a point de troisième {lxxxi} personne sur le théâtre à qui il pût adresser le coup qu’elle recevrait, comme peut faire Oreste à Egisthe12. D’ailleurs13, l’histoire est trop connue14 pour retrancher le péril qu’il court d’une mort infâme15 après l’avoir tuée ; et la défense que lui prête son père pour obtenir sa grâce n’aurait plus de lieu s’il demeurait innocent. Quoi qu’il en soit, voyons si cette action n’a pu causer la chute de ce poème16 que par là, et si elle n’a point d’autre irrégularité que de blesser les yeux.

Comme je n’ai point accoutumé de dissimuler mes défauts, j’en trouve ici deux ou trois assez considérables. Le premier est que cette action17, qui devient la principale de la pièce, est momentanée, et n’a point cette juste grandeur que lui demande Aristote, et qui consiste en un commencement, un milieu et une fin18. Elle surprend tout d’un coup ; et toute la préparation que j’y ai donnée par la peinture de la vertu farouche d’Horace, et par la défense qu’il fait à sa sœur de regretter qui que ce soit de lui ou de son amant qui meure au combat, n’est point suffisante pour faire attendre un emportement si extraordinaire19, et servir de commencement à cette action20.

Le second défaut est que cette mort fait une action double par le second péril où tombe Horace {lxxxii} après être sorti du premier. L’unité de péril d’un héros dans la tragédie fait l’unité d’action21 ; et quand il en est garanti, la pièce est finie, si ce n’est que22 la sortie même de ce péril l’engage si nécessairement dans un autre, que la liaison et la continuité des deux n’en fassent qu’une action23 ; ce qui n’arrive point ici, où Horace revient triomphant sans aucun besoin de tuer sa sœur, ni même de parler à elle ; et l’action serait suffisamment terminée à sa victoire. Cette chute d’un péril en l’autre, sans nécessité, fait ici un effet d’autant plus mauvais, que d’un péril public, où il y va de tout l’État, il tombe en un péril particulier, où il n’y va que de sa vie ; et, pour dire encore plus, d’un péril illustre, où il ne peut succomber que glorieusement, en un péril infâme24, dont il ne peut sortir sans tache. Ajoutez, pour troisième imperfection, que Camille, qui ne tient que le second rang dans les trois premiers actes, et y laisse le premier à Sabine, prend le premier en ces deux derniers, où cette Sabine n’est plus considérable25 ; et qu’ainsi, s’il y a égalité dans les mœurs, il n’y en a point dans la dignité des personnages26, où se doit étendre ce précepte d’Horace :

Servetur ad imum

Qualis ab incepto processerit, et sibi constet27.

{lxxxiii}Ce défaut en Rodelinde28 a été une des principales causes du mauvais succès de Pertharite, et je n’ai point encore vu sur nos théâtres cette inégalité de rang en un même acteur, qui n’ait produit un très méchant effet. Il serait bon d’en établir une règle inviolable.

Du côté du temps, l’action n’est point trop pressée, et n’a rien qui ne me semble vraisemblable. Pour le lieu, bien que l’unité y soit exacte, j’y ai fait voir quelque contrainte, quand j’ai parlé de la réduction de la tragédie au roman29. Il est constant30 qu’Horace et Curiace n’ont point de raison de se séparer du reste de la famille pour commencer le second acte31 ; et c’est une adresse de théâtre de n’en donner aucune, quand on n’en peut donner de bonnes. L’attachement de l’auditeur à l’action présente souvent ne lui permet pas de descendre à l’examen sévère de cette justesse, et ce n’est pas un crime que de s’en prévaloir pour l’éblouir32, quand il est malaisé de le satisfaire.

Le personnage de Sabine est assez heureusement inventé, et trouve sa vraisemblance aisée dans le rapport à l’histoire, qui marque assez d’amitié et d’égalité entre les deux familles pour avoir pu faire33 cette double alliance.

Elle ne sert pas davantage à l’action que {lxxxiv}l’Infante à celle du Cid, et ne fait que se laisser toucher diversement, comme elle, à la diversité des événements. Néanmoins on a généralement approuvé celle-ci34, et condamné l’autre35. J’en ai cherché la raison, et j’en ai trouvé deux : l’une est la liaison des scènes36, qui semble, s’il m’est permis de parler ainsi, incorporer Sabine dans cette pièce, au lieu que, dans Le Cid, toutes celles de l’Infante sont détachées, et paraissent hors œuvre :

Tantum series juncturaque pollet37.

L’autre, qu’ayant une fois posé Sabine pour femme d’Horace, il est nécessaire que tous les incidents de ce poème lui donnent les sentiments qu’elle en témoigne avoir, par l’obligation qu’elle a de prendre intérêt à ce qui regarde son mari et ses frères; mais l’Infante n’est point obligée d’en prendre aucun en ce qui touche le Cid38  ; et si elle a quelque inclination secrète pour lui, il n’est point besoin qu’elle en fasse rien paraître39, puisqu’elle ne produit aucun effet40.

L’oracle qui est proposé au premier acte41 trouve son vrai sens à la conclusion du cinquième. Il semble clair d’abord, et porte l’imagination à un sens contraire ; et je les aimerais mieux de cette sorte sur nos théâtres, que ceux qu’on fait entièrement obscurs, parce que la surprise de leur véritable effet en est plus belle42. J’en ai usé ainsi{lxxxv} encore dans l’Andromède et dans l’Œdipe43. Je ne dis pas la même chose des songes, qui peuvent faire encore un grand ornement dans la protase44, pourvu qu’on ne s’en serve pas souvent. Je voudrais qu’ils eussent l’idée de la fin véritable de la pièce, mais avec quelque confusion qui n’en permît pas l’intelligence entière45. C’est ainsi que je m’en suis servi deux fois, ici et dans Polyeucte46, mais avec plus d’éclat et d’artifice dans ce dernier poème, où il marque toutes les particularités de l’événement, qu’en celui-ci, où il ne fait qu’exprimer une ébauche tout à fait informe de ce qui doit arriver de funeste.

Il passe pour constant47 que le second acte est un des plus pathétiques48 qui soient sur la scène, et le troisième un des plus artificieux. Il est soutenu de la seule narration de la moitié du combat des trois frères, qui est coupée très heureusement49 pour laisser Horace le père dans la colère et le déplaisir, et lui donner ensuite un beau retour à la joie dans le quatrième. Il a été à propos, pour le jeter dans cette erreur, de se servir de l’impatience d’une femme qui suit brusquement50 sa première idée, et présume le combat achevé, parce qu’elle a vu deux des Horace par terre, et le troisième en fuite51. Un homme, qui doit être plus posé et plus judicieux, n’eût pas été propre {lxxxvi}à donner cette fausse alarme ; il eût dû52 prendre plus de patience, afin d’avoir plus de certitude de l’événement, et n’eût pas été excusable de se laisser emporter si légèrement par les apparences à présumer le mauvais succès53 d’un combat dont il n’eût pas vu la fin.

Bien que le roi n’y paraisse qu’au cinquième, il y est mieux dans sa dignité que dans Le Cid, parce qu’il a intérêt pour tout son État dans le reste de la pièce54 ; et bien qu’il n’y parle point, il ne laisse pas d’y agir comme roi55. Il vient aussi dans ce cinquième comme roi qui veut honorer par cette visite un père dont les fils lui ont conservé sa couronne, et acquis celle d’Albe au prix de leur sang. S’il y fait l’office de juge, ce n’est que par accident56 ; et il le fait dans ce logis même d’Horace, par la seule contrainte qu’impose la règle de l’unité de lieu. Tout ce cinquième est encore une des causes du peu de satisfaction que laisse cette tragédie: il est tout en plaidoyers, et ce n’est pas là la place des harangues ni des longs discours: ils peuvent être supportés en un commencement de pièce, où l’action n’est pas encore échauffée ; mais le cinquième acte doit plus agir que discourir. L’attention de l’auditeur, déjà lassée, se rebute de ces conclusions qui traînent et tirent la fin en longueur57.

{lxxxvii}Quelques-uns ne veulent pas que Valère y soit un digne accusateur d’Horace, parce que dans la pièce il n’a pas fait voir assez de passion pour Camille58 ; à quoi je réponds que ce n’est pas à dire qu’il n’en eût une très forte, mais qu’un amant mal voulu ne pouvait se montrer de bonne grâce à sa maîtresse dans le jour qui la rejoignait à un amant aimé. Il n’y avait point de place pour lui au premier acte, et encore moins au second ; il fallait qu’il tînt son rang à l’armée pendant le troisième ; et il se montre au quatrième, sitôt que la mort de son rival fait quelque ouverture à son espérance: il tâche à gagner les bonnes grâces du père par la commission59 qu’il prend du roi de lui apporter les glorieuses nouvelles de l’honneur que ce prince lui veut faire ; et, par occasion, il lui apprend la victoire de son fils, qu’il ignorait. Il ne manque pas d’amour durant les trois premiers actes, mais d’un temps propre à le témoigner ; et, dès la première scène de la pièce, il paraît bien qu’il rendait assez de soins à Camille, puisque Sabine s’en alarme pour son frère. S’il ne prend pas le procédé de France60, il faut considérer qu’il est Romain, et dans Rome, où il n’aurait pu entreprendre un duel contre un autre Romain sans faire un crime d’État, et que j’en aurais fait un de{lxxxviii}théâtre, si j’avais habillé un Romain à la française.