IdT – Les idées du théâtre


 

Dédicace 

Horace

Corneille, Pierre

Éditeur scientifique : Michel, Lise

Description

Auteur du paratexteCorneille, Pierre

Auteur de la pièceCorneille, Pierre

Titre de la pièceHorace

Titre du paratexteA Monseigneur, Monseigneur le cardinal duc de Richelieu

Genre du texteDédicace 

Genre de la pièceTragédie

Date1641

Languefrançais

ÉditionParis : A. Courbé, 1641, in-4°

Éditeur scientifiqueMichel, Lise

Nombre de pages7

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72709x/f4.image

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/CorneilleHoraceDedicace.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/CorneilleHoraceDedicace.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/CorneilleHoraceDedicace.odt

Mise à jour2016-05-09

Mots-clés

Mots-clés français

SourcesTite-Live

SujetDignité du sujet

DramaturgieSuivre les règles vs les déduire du visage du ministre

FinalitéPlaire au ministre vs plaire au peuple (public) / applaudissements du public

Relations professionnellesRichelieu protecteur des artistes

AutreMuse de province / Térence (Scipion et Lélie) / Horace

Mots-clés italiens

FontiTito-Livio

ArgomentoDignità del argomento

DrammaturgiaSeguire le regole vs dedurle del viso del ministro

FinalitàPiacere al ministro vs piacere al popolo (pubblico) / applausi del pubblico

Rapporti professionaliRichelieu protettore degli artisti

AltriMusa di provincia ; Terenzio ; Orazio

Mots-clés espagnols

FuentesTito-Livio

TemaDignidad del sujeto

DramaturgiaSeguir las reglas vs deducirlas de la cara del ministro

FinalidadAgradar al ministro vs agradar al pueblo (público / aplausos del público

Relaciones profesionalesRichelieu protector de los artistas

OtrasMusa de provincia / Terencio (Scipio y Lelia) / Horacio

Présentation

Présentation en français

Dans la première – et seule – dédicace qu’il adresse à Richelieu1, Corneille se livre, conformément aux lois du genre, à un éloge hyperbolique du ministre. Autant qu’un remerciement, c’est ici, à l’issue de la querelle du Cid, un acte public d’allégeance, destiné à assurer à son auteur une protection bienvenue voire nécessaire : de nouveaux débats se sont déjà fait jour après les premières lectures d’Horace. Derrière le lieu commun de l’excusatio propter infirmitatem et l’allégation de modestie du provincial, l’intérêt de cette dédicace tient d’abord au terrain très circonscrit sur lequel Corneille situe son éloge : en quelques images frappantes, c’est pour la politique menée en faveur des auteurs dramatiques que le poète rend grâce au ministre2. Inspirateur des « grandes idées » du dramaturge, Richelieu est aussi institué destinataire premier de l’art dramatique (qui, nécessaire à Son Eminence, se révèle nécessaire à l’État), et juge suprême de sa qualité. Une telle tripartition de fonctions – homme (père), roi et juge – n’est pas sans évoquer celle que Corneille attribuera en 1660, dans l’Examen de Clitandre, au personnage d’autorité, et notamment au personnage royal lui-même. Le tour de force de ce texte réside toutefois surtout dans la manière dont le dramaturge parvient, en faisant explicitement du ministre l’arbitre des règles poétiques en lieu et place du public, à établir de façon ultime l’idée d’une équivalence entre ces deux instances : la satisfaction du ministre, qui sanctionne la validité des règles de la création, garantit directement les applaudissements publics. Implicitement, la véritable mise en cause porte donc sans doute ici, au nom du ministre et par conséquent du public, sur l’autorité des théoriciens et confrères3 – ceux-là même qui s’étaient prononcés contre Le Cid et faisaient déjà entendre une voix critique sur l’invention et la disposition de cette nouvelle tragédie4. La dédicace se clôt sur une citation légèrement modifiée d’une ode d’Horace, qui exprime, de façon explicite, le lien étroit entre la faveur de la muse inspiratrice et le plaisir que le poète peut apporter au public.

Texte

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A MONSEIGNEUR, MONSEIGNEUR LE CARDINAL DUC DE RICHELIEU                

Monseigneur,

{NP1}Je n’aurais jamais eu la témérité {NP2}de présenter à Votre Éminence ce mauvais portrait d’Horace, si je n’eusse considéré qu’après tant de bienfaits que j’ai reçus d’elle, le silence où mon respect m’a retenu jusqu’à présent passerait pour ingratitude, et que quelque juste défiance que j’aie de mon travail, je dois avoir encore plus de confiance en votre bonté. C’est d’elle que je tiens tout ce que je suis5 ; et ce n’est pas sans rougir que pour toute reconnaissance je vous fais un présent si peu digne de Vous, et si peu proportionné à ce que je vous dois. Mais dans cette confusion, qui m’est commune avec tous ceux qui écrivent, j’ai cet avantage qu’on ne peut sans quelque injustice condamner mon choix, et que ce généreux Romain que je mets aux pieds de V[otre] É[minence] {NP3}eût pu paraître devant elle avec moins de honte, si les forces de l’artisan eussent répondu à la dignité de la matière6. J’en ai pour garant l’auteur dont je l’ai tirée, qui commence à décrire cette fameuse histoire par ce glorieux éloge qu’il n’y a presque aucune chose de plus noble dans toute l’Antiquité7. Je voudrais que ce qu’il a dit de l’action8 se pût dire de la peinture que j’en ai faite, non pour en tirer plus de vanité, mais seulement pour vous offrir quelque chose un peu moins indigne de vous être offert. Le sujet était capable de plus de grâces, s’il eût été traité d’une main plus savante, mais du moins il a reçu de la mienne toutes celles qu’elle était capable de lui donner, et qu’on pouvait raisonnablement attendre d’une muse {NP4} de province, qui n’étant pas assez heureuse pour jouir souvent des regards de V[otre] É[minence], n’a pas les mêmes lumières à se conduire qu’ont celles qui en sont continuellement éclairées9. Et certes, Monseigneur, ce changement visible qu’on remarque en mes ouvrages depuis que j’ai l’honneur d’être à V[otre] É[minence], qu’est-ce autre chose qu’un effet des grandes idées qu’elle m’inspire quand elle daigne souffrir que je lui rende mes devoirs ; et à quoi peut-on attribuer ce qui s’y mêle de mauvais qu’aux teintures grossières10 que je reprends quand je demeure abandonné à ma propre faiblesse? Il faut, Monseigneur, que tous ceux qui donnent leurs veilles au théâtre publient hautement avec moi que nous {NP5} vous avons deux obligations très signalées, l’une d’avoir ennobli le but de l’art, l’autre de nous en avoir facilité les connaissances. Vous avez ennobli le but de l’art, puisqu’au lieu de celui de plaire au peuple11, que nous prescrivent nos maîtres, et dont les deux plus honnêtes gens de leur siècle, Scipion et Lélie, ont autrefois protesté de se contenter12, vous nous avez donné celui de vous plaire et de vous divertir ; et qu’ainsi nous ne rendons pas un petit service à l’État, puisque contribuant à vos divertissements, nous contribuons à l’entretien d’une santé qui lui est si précieuse et si nécessaire. Vous nous en avez facilité les connaissances, puisque nous n’avons plus besoin d’autre étude pour les acquérir que d’attacher nos yeux {NP6} sur V[otre] É[minence] quand elle honore de sa présence et de son attention le récit de nos poèmes13. C’est là que lisant sur son visage ce qui lui plaît, et ce qui ne lui plaît pas, nous nous instruisons avec certitude de ce qui est bon, et de ce qui est mauvais, et tirons des règles infaillibles de ce qu’il faut suivre et de ce qu’il faut éviter. C’est là que j’ai souvent appris en deux heures ce que mes livres n’eussent pu m’apprendre en dix ans ; c’est là que j’ai puisé ce qui m’a valu l’applaudissement du public, et c’est là qu’avec votre faveur j’espère puiser assez pour être14 un jour une œuvre digne de vos mains. Ne trouvez donc pas mauvais, Monseigneur, que pour vous remercier de ce que j’ai de réputation dont je {NP7} vous suis entièrement redevable, j’emprunte quatre vers d’un autre Horace que celui que je vous présente, et que je vous exprime par eux les plus véritables sentiments de mon âme :

Totum muneris hoc tui est
Quod monstror digito praetereuntium
Scenae non levis artifex :
Quod spiro et placeo, si placeo, tuum est15.

Je n’ajouterai qu’une vérité à celle-ci, en vous suppliant de croire que je suis et serai toute ma vie très passionnément,
    Monseigneur,
    de V[otre] É[minence],
            le très humble, très obéissant,
            et très fidèle serviteur,

CORNEILLE16.