Préface
Cinna
Corneille, Pierre
Éditeur scientifique : Michel, Lise
Description
Auteur du paratexteCorneille, Pierre
Auteur de la pièceCorneille, Pierre
Titre de la pièceCinna
Titre du paratexte[Examen de] Cinna
Genre du textePréface
Genre de la pièceTragédie
Date1660
Languefrançais
ÉditionLe Théâtre de P. Corneille revu et corrigé par l’auteur, II. Partie, Paris : A. Courbé et G. de Luyne, 1660, in-8°
Éditeur scientifiqueMichel, Lise
Nombre de pages4
Adresse sourceNon numérisé. Cote BnF RES- YF- 2985
Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/CorneilleCinnaExamen.xml
Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/CorneilleCinnaExamen.html
Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/CorneilleCinnaExamen.odt
Mise à jour2016-06-14
Mots-clés
Mots-clés français
DramaturgieVraisemblance vs nécessité ; narration ornée ; monologue ; liaison des scènes
LieuDuplicité de lieux particuliers ; Unité de lieu globale
ActionPièces simples / pièces implexes
RéceptionIllustres suffrages ; approbation
ExpressionNarration, monologue, force du vers
Mots-clés italiens
DrammaturgiaVerosimiglianza vs necessità ; narrazione ornata ; monologo ; legami tra le scene
LuogoLuoghi particolari doppi ; unità globale
AzioneOpere semplici / implesse
RicezioneIllustri suffragi ; approbazione
EspressioneNarrazione ; monologo ; forza del verso
Mots-clés espagnols
DramaturgiaVerosimilitud vs necesidad ; narración adornada ; monólogo ; enlace de las escenas
LugarDuplicidad de lugares particulares ; Unidad de lugar global
AcciónPiezas simples / piezas implexas
RecepciónIlustres sufragios ; aprobación
ExpresiónNarración, monólogo , fuerza del verso
Présentation
Présentation en français
Il se félicite de ne pas avoir eu recours, dans cette tragédie, au nécessaire, dont l’artifice nuit à la crédibilité des actions. Sa préférence pour le vraisemblable est illustrée ensuite très concrètement par deux exemples. Il dévoile d’abord le fait, non explicité dans la pièce elle-même, que sa tragédie se déroule en deux lieux. Ce faisant, il répond au reproche d’invraisemblance du lieu unique de Cinna au sujet duquel l’avait interpellé l’abbé d’Aubignac1 ; mais il montre par là même qu’il n’a pas forcé son action pour respecter l’unité de lieu. La défense d’une unité de lieu conçue de façon moins étroite lui permet au demeurant de se réclamer d’une conception plus large de la vraisemblance. Relevant en second lieu une rupture dans la liaison des scènes au quatrième acte, il souligne encore que l’infraction aux règles strictes peut se justifier par les circonstances propres de l’action.
L’Examen comporte enfin une réflexion sur le statut des narrations et discours explicatifs. Corneille justifie la longue narration que Cinna fait à Émilie à l’acte I par les circonstances, à nouveau, qui la rendent parfaitement vraisemblable. Plus généralement, il attribue l’estime dans laquelle est tenue sa pièce au fait que les spectateurs n’ont pas à faire appel, pour comprendre l’action, à des éléments qui leur auraient été présentés en début de pièce ou longuement rappelés lors de discours explicatifs (ce qui caractérise les pièces « implexes »). Le déroulement de l’intrigue, suivant ici celui des faits, est clair en lui-même. Les discours, dénués de leur fonction informative, peuvent dès lors exprimer librement les passions et les raisonnements, qui sont la clef du pouvoir de séduction spécifique des « pièces simples ».
Texte
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[EXAMEN DE]CINNA
{lxxxviii} Ce poème a tant d’illustres suffrages2, qui lui donnent le premier rang parmi les miens, que je me ferais trop d’importants ennemis, si j’en disais du mal. Je ne le suis pas assez de moi-même pour chercher des défauts où ils n’en ont point voulu voir, et accuser le jugement qu’ils en ont fait, pour obscurcir la gloire qu’ils m’en ont donnée. Cette approbation si forte et si générale vient sans doute de ce que la vraisemblance s’y trouve si heureusement conservée aux endroits où la vérité lui manque qu’il3 n’a jamais besoin de recourir au nécessaire4. Rien n’y contredit l’Histoire, bien que beaucoup de choses y soient ajoutées5 ; rien n’y est violenté par les incommodités de la représentation, ni par l’unité de jour, ni par celle de lieu6.
Il est vrai qu’il s’y rencontre une duplicité de lieu particulier. La moitié de la pièce se passe chez Émilie, et l’autre dans le cabinet d’Auguste. J’aurais été ridicule si j’avais prétendu que cet empereur délibérât avec Maxime et {lxxxix} Cinna, s’il quitterait l’Empire, ou non, précisément dans la même place, où ce dernier vient de rendre compte à Émilie de la conspiration qu’il a formée contre lui7. C’est ce qui m’a fait rompre la liaison des scènes8 au quatrième acte, n’ayant pu me résoudre à faire que Maxime vînt donner l’alarme à Émilie de la conjuration découverte, au lieu même où Auguste en venait de recevoir l’avis par son ordre, et dont il ne faisait que de sortir avec tant d’inquiétude et d’irrésolution. C’eût été une impudence extraordinaire, et tout à fait hors du vraisemblable, de se présenter dans son cabinet un moment après qu’il lui avait fait révéler le secret de cette entreprise, dont il était un des chefs ; et bien loin de pouvoir surprendre9 Émilie par la peur de se voir arrêtée, c’eût été se faire arrêter lui-même, et se précipiter dans un obstacle invincible au dessein qu’il voulait exécuter. Émilie ne parle donc pas où parle Auguste, à la réserve du cinquième acte ; mais cela n’empêche pas qu’à considérer tout le poème ensemble, il n’ait son unité de lieu, puisque tout s’y peut passer, non seulement dans Rome, ou dans un quartier de Rome, mais dans le seul palais d’Auguste, pourvu que vous y vouliez donner un appartement à Émilie, qui soit éloigné du sien10.
{xc}Le compte que Cinna lui rend de sa conspiration11 justifie ce que j’ai dit ailleurs12, que pour faire souffrir une narration ornée, il faut que celui qui la fait, et celui qui l’écoute, aient l’esprit assez tranquille, et s’y plaisent assez pour lui prêter toute la patience qui lui est nécessaire. Émilie a joie d’apprendre de la bouche de son amant avec quelle chaleur il a suivi ses intentions, et Cinna n’en a pas moins de lui pouvoir donner de si belles espérances de l’effet qu’elle en souhaite. C’est pourquoi, quelque longue que soit cette narration sans interruption aucune, elle n’ennuie point, les ornements de rhétorique dont j’ai tâché de l’enrichir ne la font point condamner de trop d’artifice, et la diversité de ses figures ne fait point regretter le temps que j’y perds ; mais si j’avais attendu à la commencer qu’Evandre eût troublé ces deux amants par la nouvelle qu’il leur apporte13, Cinna eût été obligé de s’en taire, ou de la conclure en six vers, et Émilie n’en eût pu supporter davantage.
C’est ici la dernière pièce où je me suis pardonné de longs monologues14. Celui d’ Émilie ouvre le théâtre, Cinna en fait un autre au troisième acte, et Auguste et Maxime chacun un au quatrième15. Comme les vers d’Horace ont {xci} quelque chose de plus net et de moins guindé pour les pensées que ceux du Cid, on peut dire que ceux-ci ont quelque chose de plus achevé que ceux d’Horace, et qu’enfin la facilité de concevoir le sujet16, qui n’est ni trop chargé d’incidents, ni trop embarrassé des récits de ce qui s’est passé avant le commencement de la pièce, est une des causes sans doute de la grande approbation qu’il a reçue17. L’auditeur aime à s’abandonner à l’action présente, et à n’être point obligé, pour l’intelligence de ce qu’il voit, de réfléchir sur ce qu’il a déjà vu, et de fixer sa mémoire sur les premiers actes, cependant que les derniers sont devant ses yeux. C’est l’incommodité des pièces embarrassées qu’en termes de l’art on nomme implexes, par un mot emprunté du latin, telles que sont Rodogune et Héraclius18. Elle ne se rencontre pas dans les simples, mais comme celles-là ont sans doute besoin de plus d’esprit pour les imaginer, et de plus d’art pour les conduire, celles-ci n’ayant pas le même secours du côté du sujet, demandent plus de force de vers, et de raisonnement, ou de sentiments, pour les soutenir19.