Dédicace
La Suivante
Corneille, Pierre
Éditeur scientifique : Douguet, Marc
Description
Auteur du paratexteCorneille, Pierre
Auteur de la pièceCorneille, Pierre
Titre de la pièceLa Suivante
Titre du paratexteÉpître
Genre du texteDédicace
Genre de la pièceComédie
Date1637
LangueFrançais
ÉditionParis : Augustin Courbé, 1637, in-4°
Éditeur scientifiqueDouguet, Marc
Nombre de pages6
Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70389t/f2
Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Corneille-Suivante-Dedicace.xml
Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/Corneille-Suivante-Dedicace.html
Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Corneille-Suivante-Dedicace.odt
Mise à jour2016-06-14
Mots-clés
Mots-clés français
DramaturgieLiaison des scènes
LieuUnité
TempsUnité
ActionUnité
RéceptionSuccès / échec ; interprétation
FinalitéPlaisir
ExpressionNaïveté
AutreAnciens / Modernes ; annonce de développements théoriques plus ambitieux ; relativisme en matière de règles
Mots-clés italiens
DrammaturgiaLegami tra le scene
LuogoUnità
TempoUnità
AzioneUnità
RicezioneSuccesso / scacco ; interpretazione
FinalitàDiletto
EspressioneIngenuità
AltriAntichi / Moderni ; annuncio di sviluppi teorici più ambiziosi ; relativismo in materia di regole
Mots-clés espagnols
DramaturgiaEnlace entre las escenas
LugarUnidad
TiempoUnidad
AcciónUnidad
RecepciónExito / fracaso ; interpretación
FinalidadPlacer
ExpresiónEstilo natural
OtrasAntiguis / Modernos ; aununcio de reflexiones teóricas más ambiciosas ; relativismo en materia de preceptos
Présentation
Présentation en français
Texte
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Épître
Monsieur,
[NP1] Je vous présente une comédie qui n’a pas été également1 aimée de toutes sortes d’esprits : beaucoup, et de fort bons, n’en ont pas fait grand état, et beaucoup d’autres l’ont mise au-dessus du reste des miennes. Pour moi, je laisse dire tout le monde, et fais mon profit des bons avis, de quelque part que je les reçoive. Je traite toujours mon sujet le moins mal qu’il m’est possible, et après y avoir corrigé ce qu’on m’y fait connaître d’inexcusable, je l’abandonne au public. Si je ne fais bien, qu’un autre fasse mieux : je ferai des vers à sa louange au lieu de le censurer. Chacun a sa méthode ; je ne blâme point celle des autres, et me tiens à la mienne : jusques à présent je m’en suis trouvé fort bien, j’en chercherai une meilleure [NP2] quand je commencerai à m’en trouver mal2. Ceux qui se font presser3 à la représentation de mes ouvrages m’obligent infiniment ; ceux qui ne les approuvent pas peuvent se dispenser d’y venir gagner la migraine : ils épargneront de l’argent, et me feront plaisir. Les jugements sont libres en ces matières, et les goûts divers. J’ai vu des personnes de fort bon sens admirer des endroits sur qui j’aurais passé l’éponge4, et j’en connais dont les poèmes réussissent au théâtre avec éclat, et qui, pour principaux ornements, y emploient des choses que j’évite dans les miens5. Ils pensent avoir raison, et moi aussi : qui d’eux ou de moi se trompe, c’est ce qui n’est pas aisé à juger. Chez les philosophes, tout ce qui n’est point de la foi ni des principes est disputable, et souvent ils soutiendront, à votre choix, le pour et le contre d’une même proposition : marques certaines de l’excellence de l’esprit humain, qui trouve des raisons à défendre tout, ou plutôt de sa faiblesse, qui n’en peut trouver de convaincantes, ni qui ne puissent être combattues et détruites par de contraires6. Ainsi ce n’est pas merveille si les critiques donnent de mauvaises interprétations7 à nos vers, et de mauvaises faces8 à nos personnages. « Qu’on me donne, (dit M. de Montaigne au chapitre XXXVI du [NP3] premier livre9) l’action la plus excellente et pure, je m’en vais y fournir vraisemblablement10 cinquante vicieuses intentions. » C’est au lecteur désintéressé à prendre la médaille par le beau revers. Comme il nous a quelque obligation d’avoir travaillé à le divertir, j’ose dire que pour reconnaissance il nous doit un peu de faveur, et qu’il commet une espèce d’ingratitude s’il ne se montre plus ingénieux à nous défendre qu’à nous condamner, et s’il n’applique la subtilité de son esprit plutôt à colorer et justifier en quelque sorte11 nos véritables défauts, qu’à en trouver où il n’y en a point. Nous pardonnons beaucoup de choses aux Anciens : nous admirons quelquefois dans leurs écrits ce que nous ne souffririons pas dans les nôtres ; nous faisons des mystères de leurs imperfections, et couvrons leurs fautes du nom de licences poétiques. Le docte Scaliger a remarqué des taches dans tous les Latins, et de moins savants que lui en remarqueraient bien dans les Grecs, et dans son Virgile même, à qui il dresse des autels sur le mépris des autres12. Je vous laisse donc à penser si notre présomption ne serait pas ridicule, de prétendre qu’une exacte censure ne pût mordre sur nos ouvrages, puisque ceux de ces grands génies de l’Antiquité ne se peuvent pas soutenir contre un rigou[NP4]reux examen. Je ne me suis jamais imaginé avoir mis rien au jour de parfait, je n’espère pas même y pouvoir jamais arriver ; je fais néanmoins mon possible pour en approcher, et les plus beaux succès des autres ne produisent en moi qu’une vertueuse émulation qui me fait redoubler mes efforts afin d’en avoir de pareils.
Pour venir à cette Suivante que je vous dédie, elle est d’un genre qui demande plutôt un style naïf15 que pompeux : les fourbes16 et les intrigues sont principalement du jeu de la comédie ; les passions n’y entrent que par accident17. Les règles des Anciens sont assez religieusement observées en celle-ci : il n’y a qu’une action principale à qui toutes les autres aboutissent18, son lieu n’a point plus d’étendue que celle du théâtre, et le temps n’en est point plus long que celui de la représentation, si vous en exceptez l’heure du dîner qui se passe entre le premier et le second acte19. La liai[NP5]son même des scènes, qui n’est qu’un embellissement, et non pas un précepte, y est gardée20 ; et si vous prenez la peine de compter les vers, vous n’en trouverez pas en un acte plus qu’en l’autre21. Ce n’est pas que je me sois assujetti depuis aux mêmes rigueurs22 : j’aime à suivre les règles, mais loin de me rendre leur esclave, je les élargis et resserre selon le besoin qu’en a mon sujet, et je romps même sans scrupule celle qui regarde la durée de l’action, quand sa sévérité me semble absolument incompatible avec les beautés des événements que je décris23. Savoir les règles, et entendre le secret de les apprivoiser adroitement avec notre théâtre, ce sont deux sciences bien différentes, et peut-être que pour faire maintenant réussir une pièce, ce n’est pas assez d’avoir étudié dans les livres d’Aristote et d’Horace. J’espère un jour traiter ces matières plus à fond, et montrer de quelle espèce est la vraisemblance qu’ont suivie ces grands maîtres des autres siècles, en faisant parler des bêtes et des choses qui n’ont point de corps24. Cependant25 mon avis est celui de Térence : puisque nous faisons des poèmes pour être représentés, notre premier but doit être de plaire à la cour et au peuple, et d’attirer un grand monde à leurs représentations26. Il faut, s’il se peut, y ajouter les règles, [NP6] afin de ne déplaire pas aux savants, et recevoir un applaudissement universel, mais surtout gagnons la voix publique : autrement, notre pièce aura beau être régulière, si elle est sifflée au théâtre, les savants n’oseront se déclarer en notre faveur, et aimeront mieux dire que nous aurons mal entendu les règles, que de nous donner des louanges quand nous serons décriés par le consentement général de ceux qui ne voient la comédie que pour se divertir27. Je suis,
Monsieur,
Votre très humble serviteur,
Corneille.