IdT – Les idées du théâtre


 

Dédicace

La Suivante

Corneille, Pierre

Éditeur scientifique : Douguet, Marc

Description

Auteur du paratexteCorneille, Pierre

Auteur de la pièceCorneille, Pierre

Titre de la pièceLa Suivante

Titre du paratexteÉpître

Genre du texteDédicace

Genre de la pièceComédie

Date1637

LangueFrançais

ÉditionParis : Augustin Courbé, 1637, in-4°

Éditeur scientifiqueDouguet, Marc

Nombre de pages6

Adresse sourcehttp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70389t/f2

Fichier TEIhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/tei/Corneille-Suivante-Dedicace.xml

Fichier HTMLhttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/html/Corneille-Suivante-Dedicace.html

Fichier ODThttp://www.idt.paris-sorbonne.fr/odt/Corneille-Suivante-Dedicace.odt

Mise à jour2016-06-14

Mots-clés

Mots-clés français

DramaturgieLiaison des scènes

LieuUnité

TempsUnité

ActionUnité

RéceptionSuccès / échec ; interprétation

FinalitéPlaisir

ExpressionNaïveté

AutreAnciens / Modernes ; annonce de développements théoriques plus ambitieux ; relativisme en matière de règles

Mots-clés italiens

DrammaturgiaLegami tra le scene

LuogoUnità

TempoUnità

AzioneUnità

RicezioneSuccesso / scacco ; interpretazione

FinalitàDiletto

EspressioneIngenuità

AltriAntichi / Moderni ; annuncio di sviluppi teorici più ambiziosi ; relativismo in materia di regole

Mots-clés espagnols

DramaturgiaEnlace entre las escenas

LugarUnidad

TiempoUnidad

AcciónUnidad

RecepciónExito / fracaso ; interpretación

FinalidadPlacer

ExpresiónEstilo natural

OtrasAntiguis / Modernos ; aununcio de reflexiones teóricas más ambiciosas ; relativismo en materia de preceptos

Présentation

Présentation en français

Contrairement aux dédicaces des pièces précédentes (mais comme celle de La Place royale, de Médée, de L’Illusion comique et du Menteur), l’épître dédicatoire de La Suivante est un long texte théorique, dont le destinataire, anonyme, est sans doute fictif. Le statut de dédicace lui valut de figurer dans toutes les éditions collectives jusqu’à celle de 1657 incluse, alors que les avis au lecteur ne figurent que dans les éditions originales. Certainement représentée durant la saison 1633-1634, La Suivante est achevée d’imprimer le 9 septembre 1637, soit en pleine querelle du Cid, à un moment où Corneille attend que l’Académie française rende son avis. Toute la première partie du texte s’inscrit dans ce cadre polémique : Corneille y livre une réflexion sur la relativité de la valeur et du succès des œuvres littéraires, et propose une déontologie visant à pacifier et à rendre plus fructueuse la relation entre l’auteur et ses différents publics (les spectateurs, les critiques, les autres auteurs). À travers le relativisme de son propos se lit la confiance qu’il a en sa propre « méthode ». La Suivante possède par ailleurs un statut à part au sein des premières pièces de Corneille : il s’agit en effet de sa comédie la plus régulière – régularité parfaite qu’il ne retrouvera qu’avec Horace. Dans la deuxième moitié du texte, Corneille analyse donc cette stricte régularité (unité de temps, de lieu et d’action, mais également liaison des scènes et équilibre des actes), tout en affirmant ne pas s’y sentir tenu.

Texte

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Épître

Monsieur,

[NP1] Je vous présente une comédie qui n’a pas été également1 aimée de toutes sortes d’esprits : beaucoup, et de fort bons, n’en ont pas fait grand état, et beaucoup d’autres l’ont mise au-dessus du reste des miennes. Pour moi, je laisse dire tout le monde, et fais mon profit des bons avis, de quelque part que je les reçoive. Je traite toujours mon sujet le moins mal qu’il m’est possible, et après y avoir corrigé ce qu’on m’y fait connaître d’inexcusable, je l’abandonne au public. Si je ne fais bien, qu’un autre fasse mieux : je ferai des vers à sa louange au lieu de le censurer. Chacun a sa méthode ; je ne blâme point celle des autres, et me tiens à la mienne : jusques à présent je m’en suis trouvé fort bien, j’en chercherai une meilleure [NP2] quand je commencerai à m’en trouver mal2. Ceux qui se font presser3 à la représentation de mes ouvrages m’obligent infiniment ; ceux qui ne les approuvent pas peuvent se dispenser d’y venir gagner la migraine : ils épargneront de l’argent, et me feront plaisir. Les jugements sont libres en ces matières, et les goûts divers. J’ai vu des personnes de fort bon sens admirer des endroits sur qui j’aurais passé l’éponge4, et j’en connais dont les poèmes réussissent au théâtre avec éclat, et qui, pour principaux ornements, y emploient des choses que j’évite dans les miens5. Ils pensent avoir raison, et moi aussi : qui d’eux ou de moi se trompe, c’est ce qui n’est pas aisé à juger. Chez les philosophes, tout ce qui n’est point de la foi ni des principes est disputable, et souvent ils soutiendront, à votre choix, le pour et le contre d’une même proposition : marques certaines de l’excellence de l’esprit humain, qui trouve des raisons à défendre tout, ou plutôt de sa faiblesse, qui n’en peut trouver de convaincantes, ni qui ne puissent être combattues et détruites par de contraires6. Ainsi ce n’est pas merveille si les critiques donnent de mauvaises interprétations7 à nos vers, et de mauvaises faces8 à nos personnages. « Qu’on me donne, (dit M. de Montaigne au chapitre XXXVI du [NP3] premier livre9) l’action la plus excellente et pure, je m’en vais y fournir vraisemblablement10 cinquante vicieuses intentions. » C’est au lecteur désintéressé à prendre la médaille par le beau revers. Comme il nous a quelque obligation d’avoir travaillé à le divertir, j’ose dire que pour reconnaissance il nous doit un peu de faveur, et qu’il commet une espèce d’ingratitude s’il ne se montre plus ingénieux à nous défendre qu’à nous condamner, et s’il n’applique la subtilité de son esprit plutôt à colorer et justifier en quelque sorte11 nos véritables défauts, qu’à en trouver où il n’y en a point. Nous pardonnons beaucoup de choses aux Anciens : nous admirons quelquefois dans leurs écrits ce que nous ne souffririons pas dans les nôtres ; nous faisons des mystères de leurs imperfections, et couvrons leurs fautes du nom de licences poétiques. Le docte Scaliger a remarqué des taches dans tous les Latins, et de moins savants que lui en remarqueraient bien dans les Grecs, et dans son Virgile même, à qui il dresse des autels sur le mépris des autres12. Je vous laisse donc à penser si notre présomption ne serait pas ridicule, de prétendre qu’une exacte censure ne pût mordre sur nos ouvrages, puisque ceux de ces grands génies de l’Antiquité ne se peuvent pas soutenir contre un rigou[NP4]reux examen. Je ne me suis jamais imaginé avoir mis rien au jour de parfait, je n’espère pas même y pouvoir jamais arriver ; je fais néanmoins mon possible pour en approcher, et les plus beaux succès des autres ne produisent en moi qu’une vertueuse émulation qui me fait redoubler mes efforts afin d’en avoir de pareils.

Je vois d’un œil égal croître le nom d’autrui,
Et tâche à m’élever aussi haut comme13 lui,
Sans hasarder ma peine à le faire descendre :
La gloire a des trésors qu’on ne peut épuiser,
5    Et plus elle en prodigue à nous favoriser,
Plus elle en garde encore où chacun peut prétendre14.

Pour venir à cette Suivante que je vous dédie, elle est d’un genre qui demande plutôt un style naïf15 que pompeux : les fourbes16 et les intrigues sont principalement du jeu de la comédie ; les passions n’y entrent que par accident17. Les règles des Anciens sont assez religieusement observées en celle-ci : il n’y a qu’une action principale à qui toutes les autres aboutissent18, son lieu n’a point plus d’étendue que celle du théâtre, et le temps n’en est point plus long que celui de la représentation, si vous en exceptez l’heure du dîner qui se passe entre le premier et le second acte19. La liai[NP5]son même des scènes, qui n’est qu’un embellissement, et non pas un précepte, y est gardée20 ; et si vous prenez la peine de compter les vers, vous n’en trouverez pas en un acte plus qu’en l’autre21. Ce n’est pas que je me sois assujetti depuis aux mêmes rigueurs22 : j’aime à suivre les règles, mais loin de me rendre leur esclave, je les élargis et resserre selon le besoin qu’en a mon sujet, et je romps même sans scrupule celle qui regarde la durée de l’action, quand sa sévérité me semble absolument incompatible avec les beautés des événements que je décris23. Savoir les règles, et entendre le secret de les apprivoiser adroitement avec notre théâtre, ce sont deux sciences bien différentes, et peut-être que pour faire maintenant réussir une pièce, ce n’est pas assez d’avoir étudié dans les livres d’Aristote et d’Horace. J’espère un jour traiter ces matières plus à fond, et montrer de quelle espèce est la vraisemblance qu’ont suivie ces grands maîtres des autres siècles, en faisant parler des bêtes et des choses qui n’ont point de corps24. Cependant25 mon avis est celui de Térence : puisque nous faisons des poèmes pour être représentés, notre premier but doit être de plaire à la cour et au peuple, et d’attirer un grand monde à leurs représentations26. Il faut, s’il se peut, y ajouter les règles, [NP6] afin de ne déplaire pas aux savants, et recevoir un applaudissement universel, mais surtout gagnons la voix publique : autrement, notre pièce aura beau être régulière, si elle est sifflée au théâtre, les savants n’oseront se déclarer en notre faveur, et aimeront mieux dire que nous aurons mal entendu les règles, que de nous donner des louanges quand nous serons décriés par le consentement général de ceux qui ne voient la comédie que pour se divertir27. Je suis,

Monsieur,

Votre très humble serviteur,

Corneille.